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Frédéric Michel / Crédits photo : Stéphane Burgatt/Europe 1 , modifié à
Près de 9 mois après la disparition d’Émile, le 8 juillet 2023, dans le hameau du Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence), aucune piste n’est écartée. Des analyses techniques sont toujours en cours mais à ce stade aucun élément n’a permis aux enquêteurs d’apporter une réponse à la mystérieuse disparition de l’enfant âgé de 2 ans et demi au moment des faits. Une mise en situation est organisée dans village ce jeudi 28 mars. Les deux juges d’instruction chargés du dossier, le procureur de la République d’Aix-en-Provence, la famille d’Émile mais aussi les deux témoins oculaires devraient y participer.

Cela va bientôt faire 9 mois qu’Émile a mystérieusement disparu, plongeant ses parents dans la peine et un chagrin incommensurable, bousculant douloureusement la vie de toute une famille et du village du Vernet dans les Alpes-de-Haute-Provence. 130 habitants vivent à l’année dans cette commune du massif des trois évêchés, 1.000 au plus fort de la saison estivale. Ce jeudi, une mise en situation sera organisée dans le hameau ou s’est "volatilisé" l’enfant de 2 ans et demi. À ce stade, on ne parle pas de reconstitution puisque aucun suspect n’est mis en cause dans le dossier.

Comprendre ce qu'il s’est passé

Cet acte judiciaire a pour objectif de comprendre ce qu'il s’est passé, le 8 juillet 2023 dans le hameau du Haut-Vernet où Émile, 2 ans et demi au moment de sa disparition, était en vacances chez ses grands-parents maternels. La mère de l’enfant l’avait déposé la veille et confié à ses parents, avant de repartir rejoindre le père de l’enfant près de Marseille, où ils résident. Dans l’immense propriété familiale le garçonnet était notamment entouré de ses oncles et tantes, âgés de 7 à 18 ans. Phillipe et Anne V., les grands-parents ont dix enfants. Marie, la maman d’Émile, est l’ainée de cette grande fratrie. Elle est âgée de 25 ans.

D’après les premiers témoignages, ce samedi de juillet, premier week-end des vacances d’été, l’enfant vient de terminer sa sieste. La famille se prépare à faire une balade. Émile joue dans le jardin pendant que son grand-père est affairé à charger dans son véhicule du matériel pour de futurs travaux. Il fait très chaud et les volets des maisons sont bien souvent fermés pour garder la fraicheur. A 1.200 mètres d’altitude au milieu des montagnes, face au massif des trois évêchés, ils sont quelques dizaines à résider l’été dans ce hameau au décor de carte postale.

Tout le monde se connait. Les 25 habitants présents ce jour-là ont tous été entendus et leur maison fouillée. Le Haut-Vernet est desservi par une seule route qui se transforme à la sortie en chemin caillouteux menant à une autre vallée. Deux témoins oculaires affirment avoir vu l’enfant vers 17h15. Aucune voiture suspecte ou individu étranger à ce coin paisible n’ont été aperçus. Les chiens spécialisés, qui seront engagés quelques heures plus tard dans les recherches, ont stoppé net devant le lavoir situé à quelques dizaines de mètre de la maison des grands-parents d’Émile.

Mais si les chiens ont marqué l’endroit précisément, rien ne permet de dater le moment exact où l’on perd la trace du bambin. Émile avait aussi l’habitude de se rendre dans un bois tout proche où ses jeunes oncles et tantes fabriquaient une cabane. Après l’avoir recherché en vain, durant près de 45 minutes, ses grands-parents ont donné l’alerte vers 18h10 en contactant la gendarmerie locale.

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Crédit Photo : Frédéric Michel

Déceler d’éventuels incohérences dans les récits

La mise en situation, organisée sous le contrôle des 2 juges d’instruction chargés du dossier, du procureur de la République d’Aix-en-Provence et d’enquêteurs, doit permettre de confronter, la réalité du terrain aux nombreux éléments recueillis par écrit, depuis plus de 8 mois. Les deux témoins oculaires, des habitants du hameau, une partie de la famille d’Émile, notamment les grands-parents et leur avocat doivent y participer. Au total 17 personnes ont été convoquées pour participer à cette mise en situation. Les enquêteurs et les magistrats espèrent déceler d’éventuels incohérences dans les récits pour permettre d’affiner et orienter leurs recherches. Une équipe de télépilotes drones de la gendarmerie des Alpes-de-Haute-Provence sera chargée de la captation d’images au profit des enquêteurs. 

Une partie du village sera interdit d’accès, confirme à Europe1 le maire de la commune. Des dizaines de journalistes doivent couvrir l’événement. Les 11 chambres de l’hôtel du bourg ont été réservées par les différentes rédactions et plusieurs établissements hôteliers du secteur ont également été sollicités. Par ailleurs, une équipe de télépilotes drones, destinée à la lutte anti drones, a été engagée pour assurer la confidentialité de la mise en situation. Une interdiction de survol du hameau du Haut-Vernet a été décidé par arrêté préfectoral. 

"Tout le monde soupçonne tout le monde"

Au Vernet, la population aspire à retrouver un peu de quiétude mais le mystère entourant la disparition d’Émile pèse sur la vie du village : "Quand j’ai mes petits-enfants, raconte une habitante, je ne suis pas tranquille parce que ce petit garçon a disparu et que je ne sais pas comment il a disparu". Et d’avouer : "J’ai moins confiance qu’avant".

Sa voisine à l’accent chantant, constate amèrement : "Tout nous rappelle la disparition. Si on allume la télé on tombe forcément sur un reportage concernant Émile". Cette mère et grand-mère installée depuis de nombreuses années dans la commune ajoute, dépitée : "Quand on se rend à Marseille où à Digne-les-Bains pour un rendez-vous médical et même quand on parle avec des personnes qui ne vivent pas ici on nous interroge. Vous habitez le Vernet ? Alors dites-moi vous en pensez quoi ? qui c’est ? On l’a enlevé ? Moi je réponds on n’en sait rien !".

Sur le parking de la mairie un retraité qui dit posséder plusieurs chalets à proximité de la route départementale qui longe la commune, suppose que dans le village "tout le monde soupçonne tout le monde, parce que c’est véritablement mystérieux cette histoire". L’homme doute de l’efficacité de la mise en situation organisée : "Ça n’apportera rien, ça n’éclaircira pas le problème. Pour moi c’est une énigme". Il conclut en partageant le ressentit qu’il a eu au début de l’affaire : "J’ai pensé que le petit était descendu vers la rivière, qu’il avait fait une chute avant d’être emporté par les eaux".

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Crédit photo : Frédéric Michel

Toutes les pistes sont étudiées, "le village divisé"

Émile qui s’égare et que l’on ne retrouve pas, Émile enlevé par un prédateur sexuel ou une personne qui cherche à assouvir une vengeance, Émile renversé accidentellement par le conducteur d’un véhicule qui pris de panique fait disparaître le corps, toutes les pistes y compris celle du drame familial sont à l’études. Un jeune agriculteur a même été pointé du doigt. Une partie du village reprochant à cet adolescent sa conduite sportive. Il aurait eu, affirment ses détracteurs, plusieurs accrochages avec son tracteur.

Une ambiance que déplore, la dame à l’accent chantant : "Depuis, le village s’est divisé. Il y a ceux qui parle du jeune agriculteur et de sa conduite et ceux qui le défendent en disant laissez-le maintenant, il faut arrêter !". "Avant ajoute-t-elle, on se fréquentait tous. On buvait l’apéro ensemble et il y a eu une cassure. Ça fait presque comme deux clans". Le cœur lourd, elle conclut : "Peut-être qu’on ne saura jamais". Un quadragénaire récemment installé dans le village refuse de s’exprimer au micro mais confirme furtivement : "Il y a des on dit, des commérages de village mais personne ne sait".

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Crédit photo : Frédéric Michel

Toujours aucune garde à vue

D’abord ouverte pour disparition inquiétante, l’enquête menée au départ par le parquet de Digne-les-Bains a été requalifiée, fin juillet, en affaire criminelle pour "enlèvement, arrestation, détention, séquestration" et confiée à deux juges du pôle d’instruction d’Aix-en-Provence et au procureur de la République de la "cité aux mille fontaines". À ce stade aucune personne n’a été placée en garde à vue.

Près de 30 gendarmes de la section de recherches de la gendarmerie de Marseille et du groupement de gendarmerie des Alpes-de-Haute-Provence sont entièrement dédiés à l’enquête. Ils sont épaulés par de nombreux autres services, notamment les experts scientifiques de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie (L’IRCGN). Les enquêteurs ont constitué plusieurs groupes de travail, pour analyser la téléphonie, déterminer qui était présent dans le périmètre à l’heure de la disparition, recueillir et recouper plusieurs dizaines de témoignages, traiter près de 1.000 signalements, consulter différents fichiers, notamment pour vérifier les antécédents judiciaires de toutes les personnes pouvant être concernées, de près ou de loin, avec l’affaire ou ayant été condamnées pour des délits et crimes à caractère sexuel.

Au total, près de 100 hectares ont été ratissés. Des équipes cynophiles, des hélicoptères et drones ont été déployés durant de longues heures. Une dizaine de véhicules inspectés, une dalle suspecte, à peine coulée a été détruite. Un étang vidé, des ballots de paille scannés, des perquisitions et auditions ont été menées dans le village et dans plusieurs villes en France, sans résultat pour l’instant.

Le grand-père, les parents, la famille

Comme dans de nombreuses affaires criminelles, l’enquête se concentre aussi sur l’environnement familial du petit Émile. Rien d’étonnant explique une source proche du dossier : "Les enquêteurs doivent fermer toutes les portes. Ce serait une faute professionnelle de ne pas envisager toutes les hypothèses et ces investigations, nécessaires, ne préjugent en rien d’une éventuelle responsabilité". De récentes révélations sur le passé du grand-père maternel, décrit comme strict, autoritaire, parfois violent, ont suscité un emballement médiatique.

Philippe V., entendu en 2018 par des policiers de la PJ de Lille dans une affaire concernant des violences sur enfants, remontant au début des années 1990 alors qu’il était éducateur dans une communauté religieuse traditionnaliste du Nord, a été placé sous le statut de témoin assisté. Ce régime particulier lui permet d’avoir accès au dossier et à ce jour il ne fait l’objet d’aucune poursuite pour les faits dénoncés et qui ont valu à un prête de la communauté d’être mis en examen. Blessé et affecté par la tournure des évènements le grand-père d’Émile, jusqu’à présent très discret, a pris la parole, pour regretter l’amalgame fait avec la disparition de son petit-fils. L’information n’est pas une révélation pour les gendarmes qui enquêtent sur le dossier Émile. Ils sont depuis de nombreux mois informés de la procédure en cours et ne semblent pas faire un lien entre les deux affaires.

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Crédit photo : Frédéric Michel (10 juillet 2023)

La famille, très pieuse et traditionnaliste, vit de manière clanique mais n’est pas renfermée sur elle-même. Les parents et enfants participaient à la vie du village du Vernet et à celle de la petite commune en périphérie de Marseille où ils résident depuis de nombreuses années. Le 23 septembre dernier, au stade vélodrome, ils ont pu tous ensemble assister à la messe célébrée par le Pape François. Un ami responsable d’un important groupe de supporter de l’OM, de confession musulmane et dont l’épouse possède une maison au Haut-Vernet est directement intervenu auprès du vicaire général de la cité phocéenne pour que la famille, éprouvée par la disparition inexpliquée d’Émile, soit invitée à ce temps fort.

Un mois plus tôt, fin août 2023, les parents d’Émile avaient rompu le silence qu’ils s’étaient imposés depuis la disparition de leur jeune fils, accordant un entretien au magazine catholique Famille Chrétienne pour remercier toutes les personnes s’étant mobilisées dans la recherche de leur enfant et regretter que des informations concernant leur vie privée soit utilisées pour les salir. Au journaliste venu recueillir leur parole, Marie et Colomban confirme avoir eu, un temps, des engagements à l’extrême droite : "On a largement commenté notre adhésion à un mouvement où nous avons fait en effet un bref passage, avant de le quitter car il ne correspondait pas à nos convictions catholiques. Sans jamais y avoir commis quoi que ce soit de répréhensible, comme certains aiment à le faire croire".

Dans l’entretien, ils expliquaient regretter que leur vie privée soit jetée en pâture, appelant à prier pour Émile, précisant plein d’espoir. "Nous continuons à faire confiance au travail des gendarmes", saluant "le grand professionnalisme" des enquêteurs et "leur engagement exceptionnel".

"Rendez-nous Émile"

Quelques mois plus tard, le 24 novembre 2023, jour du troisième anniversaire d’Émile, Marie adresse à l’hebdomadaire catholique Famille Chrétienne un message audio émouvant et déchirant. "Où est notre petit garçon ?" s’interroge la maman d’Émile, s’adressant directement "à celui ou ceux qui savent ce qui lui est arrivé", expliquant posément : "S'il s'agit d'un accident, peut-être avez-vous paniqué. Si vous avez commis l'irréparable, peut-être le regrettez-vous. Peut-être craignez-vous les conséquences et ne savez comment vous en sortir ? Tout cela, nous pouvons le comprendre, mais nous en appelons à votre cœur ! Comprenez notre détresse".

Puis, la voix brisée par le chagrin, elle implore : "Dites-nous où est Émile ! Par pitié, s'il est vivant, ne nous laissez pas vivre sans lui ! Rendez-le-nous ! Par pitié ! S'il est mort, dites-nous où il se trouve. Rendez-le-nous. Ne nous laissez pas sans une tombe pour nous recueillir". Elle poursuit ainsi : "Tout cela, vous pouvez le faire de mille manières. Même anonymement, sans avoir à vous dénoncer. Mais ne nous laissez pas vivre le restant de nos jours, ainsi que nos familles, avec cette affreuse angoisse qui nous broie le cœur. Nous vous en supplions, dites-nous où il se trouve, rendez-nous Émile".

La disparition d’Émile une nouvelle épreuve pour le Vernet

En attendant l’élément qui fera basculer l’affaire et peut-être permettre son élucidation, la vie a repris son cours au Vernet et rares sont ceux qui acceptent désormais de parler aux journalistes. Les portes se ferment, les pas se détournent. La disparition du petit Émile est une nouvelle épreuve pour la communauté déjà meurtrie par la catastrophe de la Germanwings. Le 24 mars 2015, 144 passagers et six membres d’équipage sont morts dans le crash provoqué par le co-pilote "suicidaire" d’un A320 qui reliait Barcelone, en Espagne, à Düsseldorf, en Allemagne. Profitant d’une pause du commandant de bord et après avoir verrouillé l’entrée du cockpit une fois seul, Andréas Lubitz avait projeté l’avion sur l’un des flans abrupts du massif des trois évêchés.

Ironie de l’histoire, la population du Vernet, qui s’était mobilisée pour accueillir et soutenir les familles endeuillées, avait été invitée par la Lufthansa, propriétaire de la compagnie aérienne à bas prix Germanwings, au match France-Allemagne, le 13 novembre 2015. Les habitants ont vécu en direct, les attentats meurtriers qui ont frappé Saint-Denis et la capitale. Ils ont attendu de longues heures avant de pouvoir sortir du Stade de France. Plusieurs sont rentrés traumatisés espérant, avec les années tourner la page de ces drames en cascade. Mais en apprenant, au début de cet été 2023, qu’un enfant du village avait disparu, mettant à nouveau leur commune sous le feu des projecteurs, ils ont eu l’impression "d’être maudits".