Un ranch au Kenya, un îlot dans les îles Vierges britanniques, des pur-sang ou encore des toiles de Fragonard et Bonnard... Lundi après-midi s’est ouvert au tribunal correctionnel de Paris la plus importante affaire de fraude fiscale jamais jugée en France. Un procès hors-norme avec au cœur du dossier, un nom loin d’être inconnu, celui de Guy Wildenstein.
Ce marchand d’art franco-américain, héritier de l’une des dynasties les plus influentes du milieu, comparaît pour fraude fiscale et blanchiment, avec notamment deux autres membres de sa famille. La justice soupçonne l’homme de 70 ans d’avoir dissimulé une grande partie de la fortune familiale au fisc, après le décès de Daniel Wildenstein, le patriarche de l'empire "W", puis celui de son frère, Alec, en 2008.
Un règne sur quatre générations. Pour bien comprendre l'affaire, il faut savoir que les Wildenstein sont "très probablement" l’une des familles les plus riches au monde, concède sur Europe 1 le journaliste du Monde, Harry Bellet, qui a écrit un article très documenté sur le sujet. Mais surtout, l’une des plus puissantes dans le milieu de l’art : "En quatre générations, ils ont couvert à peu près toute l’histoire de l’art", a-t-il expliqué. Sur le marché depuis 1875, la dynastie a des galeries de Buenos Aires à New York, en passant par Londres et le Japon.
L'héritage. La fraude trouve son origine dans une histoire de répartition d’héritage ayant viré au conflit familial. Le 23 octobre 2001, le père des fils Wildenstein, Guy et Alec, décède à Paris. Les deux frères convainquent alors leur belle-mère, Sylvia Roth-Wildenstein, de renoncer à la succession de son mari en avançant que l'illustre marchand d’œuvres et historien de l’art a subi un redressement fiscal dont elle devra s'acquitter si elle accepte l'héritage. En échange, ses beaux-fils lui promettent une rente annuelle. De leur côté, ils déclarent en 2002 40,9 millions d'euros d'héritage, comprenant entre autres 28 tableaux, un château à Verrières-le-Buisson, dans l'Essonne, et des chevaux de course...
Deux veuves spoliées à l’origine du scandale. En 2005, la veuve de Daniel se retourne contre ses beaux-fils. Elle leur reproche de lui avoir dissimulé une immense partie de la fortune familiale, logée grâce à des sociétés-écran dans les paradis fiscaux. En juillet 2009, le parquet de Paris ouvre donc une enquête après le dépôt d'une plainte pénale pour "abus de confiance" par Sylvia Roth-Wildenstein - qui meurt l'année suivante - et son avocate Claude Dumont-Beghi.
En février 2011, c'est au tour de la veuve d'Alec, décédé en 2008, de s'estimer lésée. Liouba Stoupakova dépose une plainte contre X avec constitution de partie civile pour abus de confiance. S'estimant exclue de la succession, elle fournit une nouvelle série de pièces décisives pour le travail la justice.
Un redressement fiscal record. Pour soustraire ces biens à l’administration fiscale française, Guy Wildenstein aurait utilisé ce que l’on appelle des trusts, de discrètes structures financières nées du droit anglo-saxon, au 13e siècle, et qui permettent aujourd'hui d'échapper au trésor public français. Or, les biens dissimulés aux impôts seraient d’une valeur colossale : "une propriété de 30 000 hectares au Kenya, qui a servi de décor au film Out of Africa, un îlot aux îles Vierges britanniques, un appartement à New York, des chevaux de course, des écuries, des dizaines de tableaux et même un jet privé Gulfstream", énumère Libération qui a pu consulter l’ordonnance de renvoi des magistrats.
D’après le quotidien, l’administration fiscale fait les comptes et estime que les héritiers Wildenstein auraient dû déclarer pas moins de 616 millions d’euros de patrimoine. C’est la raison pour laquelle le fisc leur réclame, depuis 2014, 550 millions d’euros, après leur avoir notifié en juillet 2011 un premier redressement de 450 millions. Dans le même temps, les impôts portent plainte pour "fraude fiscale".
Les amis politiques de Guy Wildenstein. Toujours selon Libération, les relations haut-placées de Guy Wildenstein lui auraient évité un temps d’être inquiété par la justice. Le galeriste réputé fut un membre actif du parti de droite l’UMP, aujourd’hui rebaptisé Les Républicains. Elu en 2005 comme délégué UMP de la côte Est des Etats-Unis, réélu en 2008, l’homme d'affaires est incontournable outre-Atlantique où il est né et réside toujours. Il appartient au Premier Cercle, qui regroupe les plus gros donateurs du parti.
En 2007, il a participé au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Une proximité scellée symboliquement le 5 mars 2009, lorsque Guy Wildenstein est décoré de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy lui-même. A l’époque, le trésorier du parti de droite n’est autre qu’Eric Woerth, ministre du Budget, auquel succédera François Baroin.
Un délit fiscal de haute-volée, passible de dix ans de prison. Pour Médiapart, Guy Wildenstein, proche du pouvoir, semblait "intouchable". Ce n'est qu'en juillet 2011, que le célèbre marchand d'art est mis en examen pour "recel d’abus de confiance". Puis deux ans plus tard, en janvier 2013, pour "fraude fiscale et blanchiment". Le procès doit durer jusqu'à la fin janvier. Guy Wildenstein encourt jusqu’à dix ans d’emprisonnement.