Sihanoukville, dernière terre méridionale avant l’archipel de Koh Rong, dont les eaux translucides servirent de cadre à la 17e édition de Koh Lanta. Mais derrière les paysages paradisiaques – quoiqu’outrageusement transformés par l’arrivée des casinos et autres établissements de nuit – de cette station balnéaire du sud du Cambodge, fourmille une des plus grandes armées au monde du crime en ligne. L’office des Nations unies contre les drogues et le crime (ONUDC) évalue à plus de 500.000 travailleurs qui seraient retenus contre leur gré au Cambodge et exploités pour commettre des escroqueries en ligne, dont une grande partie dans la cité du nom de l’ancien roi.
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Véritable "hub asiatique" de l’arnaque dans le cyberespace, Sihanoukville attire l’attention de la police française. Selon les informations d’Europe 1, cette base arrière cambodgienne des groupes criminels chinois est désormais considérée comme "une menace" pour la France. Des milliers de citoyens de l’Hexagone pourraient avoir été victimes ces derniers mois d’escroqueries en ligne venues tout droit de cette ville.
Des travailleurs forcés de commettre des escroqueries
Dans une récente note qu’Europe 1 a consultée, le ministère de l’Intérieur alerte sur ce type d’escroqueries, appelées en chinois "Sha zhu pan", littéralement "plat où l’on tue le cochon". En clair, la victime est "saignée" jusqu’à l’os. "Les escrocs s’appuient sur des scénarios d’arnaques à la romance et de faux investissements", détaillent les services. Une victime étrangère est séduite sur des plateformes de rencontre via de faux profils. Elle est incitée à participer à des jeux en ligne, des loteries, ou à investir de fortes sommes d’argent dans l’or et les cryptomonnaies. Bien évidemment, elle ne retrouvera jamais ni l’odeur, ni la couleur de ses investissements. La prédation et la traque de la victime peut durer plusieurs semaines jusqu’à ce qu’elle tombe dans le piège.
Si ces modes opératoires sont aussi observés en Afrique de l’Ouest ou en Israël, la particularité de la mafia chinoise est qu’elle a mis la main sur les infrastructures de Sihanoukville, forçant ainsi des milliers de migrants venus de toute l’Asie du Sud-Est à commettre ces escroqueries. Ces travailleurs de la tromperie sans frontière sont hameçonnés par des offres d’emploi dans l’industrie digitale ou des jeux en ligne promettant des salaires mirobolants. Mais une fois sur place, les nouvelles recrues se voient confisquer leurs documents d’identité. Ils doivent alors rembourser une dette imaginaire en commettant ces arnaques sur internet. Un quota de victimes à atteindre chaque jour leur est fixé. Pour cela, les pousse-au-crime chinois leur confient des listes de futures cibles étrangères et des scénarios à suivre pour les piéger.
La France visée par les escrocs de Sihanoukville
Il y a quelques mois, deux Français ont poussé la porte de l’ambassade de France à Phnom Penh pour dénoncer ce type de faits. Selon les informations d’Europe 1, ces informaticiens engagés dans une entreprise chinoise près de la frontière vietnamienne avaient été forcés de travailler sur une plateforme en ligne pour escroquer des Indiens en prétendant leur accorder des crédits financiers.
Impossible de connaître précisément le nombre de Français victimes d’arnaques en ligne commises par des travailleurs forcés depuis Sihanoukville. Mais "la France fait partie des pays visés par ces infractions comme en témoignent les victimes qui se signalent sur Thesee", poursuit cette note. Les chiffres de la toute jeune plateforme Thesee (traitement harmonisé des enquêtes et signalements pour les e-escroqueries), lancée il y a 14 mois, laissent entrevoir un champ infractionnel en pleine expansion. En un an, elle a enregistré 85.000 plaintes et signalements, selon les chiffres communiqués par la police. Cela concerne plus de 68.000 Français victimes en un an d’arnaques sur internet en tout genre : faux sites de ventes, fausses locations, piratages de profil, chantage, etc…
Pour faire face à l’ampleur de cette criminalité qui pourrait se révéler abyssale, le gouvernement a présenté mercredi 10 mai en conseil des ministres un projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Un "filtre anti-arnaque" pourrait voir le jour à la rentrée prochaine. Il permettrait d’avertir l’internaute au moment où il s’apprête à se connecter à un site identifié comme malveillant. Objectif : "mettre fin aux campagnes massives de SMS frauduleux et de restaurer la confiance de nos concitoyens en ligne", a détaillé Jean-Noël Barrot, le ministre de la Transition numérique, dans les colonnes du JDD. Ce texte devrait être étudié par le Parlement avant l’été.