La cour d'appel de Paris a rejeté jeudi des recours de la défense et validé le renvoi en correctionnelle de six personnes dans l'affaire du financement de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995, dont son directeur de campagne Nicolas Bazire, a-t-on appris de sources concordantes. Cette affaire, dite de Karachi, porte sur des soupçons de rétrocommissions sur des contrats d'armement qui auraient servi à financer la campagne de l'ancien locataire de Matignon.
Parmi les personnes renvoyées dans ce volet financier de l'affaire de Karachi figurent l'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine, Nicolas Bazire, aujourd'hui l'un des dirigeants de LVMH, Renaud Donnedieu de Vabres, qui était conseiller du ministre de la Défense François Léotard, et Thierry Gaubert, alors membre du cabinet du ministre du Budget, Nicolas Sarkozy.
327 millions d'euros de commissions indues. Après trois ans d'investigations internationales, les juges d'instruction Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire ont acquis la conviction que 327 millions d'euros de commissions indues sur les contrats d'armement avaient été versés à un réseau d'intermédiaires qui n'avait pas eu d'utilité dans l'obtention des contrats.
Takieddine au cœur de l'affaire. Selon l'enquête, ce réseau a été imposé à la fin du processus, pour enrichir ses membres et financer la campagne d'Edouard Balladur par des rétrocommissions. Le 20 juin 2013, après avoir longtemps nié, l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine avait fini par concéder aux deux juges d'instruction qu'il avait financé la campagne Balladur pour 6,2 millions de francs (moins d'un million d'euros). Lors de ces aveux révélés par Le Monde, l'intermédiaire avait affirmé avoir été sollicité, en 1993, par Nicolas Bazire - alors directeur du cabinet du premier ministre Balladur et de sa campagne présidentielle - via Thierry Gaubert, ce que les deux hommes contestent.
Deux suspects avaient fait appel. En juin 2014, les magistrats avaient renvoyé les six personnes au tribunal. Mais deux d'entre elles, Nicolas Bazire et Dominique Castellan, patron au moment des faits de la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCNI), avaient fait appel de ce renvoi. "Nous prenons acte de cette décision. La chambre de l'instruction n'a pas souhaité se plonger dans ce dossier et a préféré échapper à ses responsabilités", s'est agacé l'avocat de Dominique Castellan, Me Alexis Gublin.
Un statut de parties civiles contesté. L'un des recours contestait la recevabilité, dans ce dossier, des familles de victimes de l'attentat de Karachi en tant que parties civiles. "La question de la recevabilité" se posera devant le tribunal correctionnel, a commenté jeudi Me Marie Dosé, avocate de plusieurs d'entre elles. "Les familles des victimes que je représente, qui sont à l'origine de l'ouverture du volet financier, sont bien évidemment ravies de la décision rendue", a quant à lui réagi Me Olivier Morice, un autre avocat des familles. Selon plusieurs sources proches du dossier, l'irrecevabilité des parties civiles a été rejetée par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.
L'attentat de Karachi, une affaire d'Etat ? Le 8 mai 2002, une voiture piégée avait explosé dans la capitale économique du Pakistan tuant 15 personnes, dont onze ouvriers français de la Direction des constructions navales. Ces employés étaient en poste pour assurer la construction de sous-marins vendus par la France à cette république islamique, en 1994. L'une des thèses envisagées - mais non démontrée - dans le volet terroriste de ce dossier est celle d'une affaire d'Etat : l'origine de l'attentat pourrait être l'arrêt du versement des commissions au Pakistan.