Un an après leur condamnation pour "abus de faiblesse" contre la richissime héritière du groupe L'Oréal, quatre des dix prévenus jugés en première instance comparaissent en appel à Bordeaux, à partir de mardi, dans l'affaire dite "Bettencourt". Parmi eux, François-Marie Banier. Le charismatique artiste et écrivain avait été condamné, fin mai 2015, à la peine la plus lourde : trois ans de prison, dont six mois avec sursis, une amende de 350.000 euros et l'obligation de verser à Liliane Bettencourt plus de 158 millions d'euros de dommages et intérêts. Le tribunal correctionnel avait en effet jugé que le photographe exerçait "une emprise particulièrement destructrice sur cette victime âgée en situation de particulière vulnérabilité".
Des échanges fleuves. Mais pour ce procès en appel, la défense souhaite battre en brèche la théorie d'abus de faiblesse sur Liliane Bettencourt, et mettre à mal sa fille unique Françoise Meyers, à l'origine des poursuites judiciaires à l'encontre du fantasque confident maternel. Avec, à l'appui, quelque 3.000 lettres et fax échangés depuis les années 1990 entre François-Marie Banier et sa mécène "L.", et dont Europe 1 a pu consulter des extraits. Cette correspondance, nourrie vingt ans durant, montre notamment à quel point la mésentente entre la mère et la fille existe depuis fort longtemps. Et ce, bien avant que leurs relations ne se crispent autour de la figure de François-Marie Banier, accusé par Françoise Meyers d'avoir profité de la vulnérabilité de sa mère pour lui soutirer plusieurs centaines de milliers d'euros.
"La Chaponne" et "le Chapon". Dans ces échanges réguliers avec "François-Marie", Liliane Bettencourt s'épanche. A la lecture des lettres qu'Europe 1 a pu consulter, on découvre ainsi que l'héritière de l'Oréal surnomme sa fille et son gendre, Jean-Pierre Meyers, "la Chaponne" et "le Chapon". Avant 2006, date à laquelle une expertise - effectuée en 2011 - fait remonter sa perte de discernement, les relations avec Françoise sont déjà glaciales.
"C'est une garce", écrit ainsi Liliane Bettencourt au sujet de sa fille, en 1997. Puis, trois ans plus tard : "Elle m'a annihilée. En ce qui concerne ses fils, je n'ai plus, pas de relations. C'est ce qu'elle a voulu. Pour qu'elle puisse tout avoir", déplore la milliardaire à propos de ses petits-fils, Jean-Victor et Nicolas. "L'affection que j'ai pour mes petits-enfants, elle ne m'a jamais donné la possibilité de l'épanouir. [...] J'en ai souffert. Ce côté étriqué m'a tuée", développe-t-elle auprès de son notaire. "Je suis dans un tel état de rage vis-à-vis de Françoise. […] Cela fait des années que cette froideur, sa froideur me ronge", continue-t-elle d'écrire à François-Marie Banier, en 2006.
" Je suis dans un tel état de rage vis-à-vis de Françoise "
"C'est ma marge de liberté". Son gendre ne trouve pas plus grâce à ses yeux. En novembre 2005, la vieille dame s'étrangle dans un courrier adressé à son notaire : "Mon gendre a apporté à mon homme d'affaires une table de mortalité pour parler […] de mon espérance de vie. Pour lui, elle ne dépassait pas cinq ans !" En 1999, Liliane Bettencourt se confiait déjà : "Etant donné la fortune que je laisse à ma fille […] vous comprendrez mon souci de prendre certaines dispositions qui me tiennent à cœur". Avant de lui écrire, de nouveau, sur le sujet de ses dispositions testamentaires, en 2002 : "C'est ma marge de liberté que j'entends préserver"...
"Vous me faites vraiment penser à mon père". Et puis, il y a aussi des lettres et des fax qui illustrent la relation amicale entre le dandy exubérant et la milliardaire, basée sur l'art, la littérature, les mondanités. "Je suis redevable à François-Marie Banier sur le plan affectif de longs et continuels soutiens - j'ai passé par des moments difficiles [...] il m'a été d'une grande aide", livre Liliane Bettencourt à son notaire, en 1997. "Françoise, je n'ai pas pu lui parler depuis son mariage. Je parlais à François-Marie comme je parlais avec mon père - on est allés dans les profondeurs – dont j'avais besoin", lui écrit-elle encore. "Vous me faites vraiment penser à mon père", disait-elle déjà à François Marie Banier, en mars 1995.
Une correspondance abondante qui révèle toute la complexité du contexte familial dans lequel s'est jouée l'affaire Bettencourt. La défense produira ces écrits à l'audience afin de faire entendre sa version de l'affaire : une histoire autre que celle d'une vieille dame sénile, abusée et dépossédée de son argent.
Retour sur le procès
En première instance, au printemps 2015 à Bordeaux, huit hommes - dont Jean-Marie Banier - avaient été condamnés pour avoir abusé de la faiblesse de Liliane Bettencourt, entre 2006 et 2011. Aujourd'hui âgée de 93 ans, la milliardaire est atteinte de la maladie d'Alzheimer et placée sous tutelle depuis 2006. Sur les dix prévenus, seuls deux avaient été définitivement relaxés : l'ex-ministre Eric Woerth, ex-trésorier de l'UMP (devenu Les Républicains), et Alain Thurin, ancien infirmier de l'héritière de l'Oréal.
L'un des condamnés, le notaire Jean-Michel Normand, avait fait appel de sa peine de douze mois de prison avec sursis et 100.000 euros d'amende. Mais, à quelques jours du début du procès, il s'est finalement désisté de son appel. Deux autres ont renoncé à faire appel et un troisième homme est récemment décédé. Ils sont donc quatre prévenus à comparaître pour la deuxième fois devant le tribunal correctionnel de Bordeaux.