Il va passer d'avocat à prévenu. Le blogueur français Maître Eolas est jugé mardi à Nanterre pour diffamation et injure face à l'Institut pour la justice (IPJ). Cette association l'accuse notamment d'avoir mis en cause la crédibilité d'une pétition réclamant un durcissement de la politique pénale.
Une histoire de chiffres. L'affaire remonte à novembre 2011. A six mois de la présidentielle, l'IPJ, un mouvement de lobbying classée à droite, avait appelé les citoyens à signer sur internet le "Pacte 2012 pour la justice". Ce texte, qui avait revendiqué 1,7 million de signatures, réclamait notamment "l'impunité zéro pour les atteintes aux personnes et aux biens".
Dans la foulée, Maître Eolas avait mis en cause la fiabilité du système de comptage de cette pétition. "Compteur bidon des signatures de l'IPJ" avait-il raillé sur le réseau social Twitter. Il reproduisait le graphique d'un autre utilisateur qui montrait la progression des soutiens comme anormale. Ces propos litigieux avaient notamment été repris dans les médias Slate.fr et Metronews.fr, également poursuivis pour "diffamation".
"Il nous explique que nous avons mystifié cette pétition qui lui a causé un vif déplaisir. Ces affirmations ont jeté une ombre sur l'IPJ. Ca nous a fait mal", affirme Me Gilles-William Goldnadel, avocat de l'association. "Nous disons juste que la réalité des signatures et des identités était invérifiable et incontrôlable", rétorque Me Jean-Yves Moyart, qui représente le blogueur pour ce procès, déjà renvoyé trois fois.
Deux visions de la justice. A l'appui de sa pétition, l'IPJ avait diffusé une vidéo-témoignage émouvante d'un père de famille et ex-policier Joël Censier, dénonçant "le naufrage judiciaire" de la procédure sur le meurtre de son fils, poignardé en août 2009. Deux ans après la publication de la vidéo et après plusieurs coups de théâtre, l'affaire a abouti à trois condamnations à des peines de prison.
Dans son célèbre blog Journal d'un avocat, Maître Eolas avait publié un billet critique envers l'IPJ et les propos de Joël Censier sous le titre "Attention manip" dans lequel il dénonçait l'instrumentalisation de "la douleur d'une victime". Maître Eolas est également jugé pour des propos injurieux à caractère scatologique visant l'IPJ lors d'échanges sur Twitter sur la pétition.
En creux, l'avocat du blogueur anonyme voit surtout "le procès d'un conflit entre deux visions, entre le tout répressif et les bases de la justice moderne".