C’est le procès du mensonge qui s’ouvre lundi devant le tribunal correctionnel de Paris. Trois ans après avoir ébranlé le jeune quinquennat Hollande, l'ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac répond lundi après-midi à ses juges. L'ancien champion de l'orthodoxie budgétaire, 63 ans, doit comparaître, jusqu'au 18 février, pour fraude fiscale et blanchiment, ainsi que pour avoir "minoré" sa déclaration de patrimoine en entrant au gouvernement en 2012. A l’époque, les révélations de Mediapart faisaient état d’un compte à l’étranger. L’enquête a finalement mis au jour une fraude fiscale multiple, décrite comme "obstinée", "sophistiquée" et "familiale".
Le compte en Suisse. "Je n‘ai pas de compte à l’étranger". L'affaire débute en décembre 2012, quand le site d'information Mediapart révèle que Jérôme Cahuzac a possédé un compte caché d’abord en Suisse, puis à Singapour comme le confirmera l'enquête judiciaire ouverte en janvier 2013. A l'origine de l'entreprise, Jérôme Cahuzac, chirurgien de formation, et sa femme, dermatologue, qui ont tenu une florissante clinique spécialisée dans les implants capillaires. L'ex-président de la commission des Finances de l'Assemblée, qui se présente alors comme le chevalier blanc de la lutte contre l'évasion fiscale, commence par tout nier. "Les yeux dans les yeux" des médias, des députés, du président.
Mais les preuves s'accumulent et il passe finalement aux aveux. "Contrairement aux déclarations que j’ai été conduit à faire alors que j’étais membre du gouvernement, je suis titulaire d’un compte à l’étranger et souhaite fournir toutes explication à ce sujet", écrit-il le 26 mars 2013, en toute discrétion, dans une lettre aux juges d’instructions. Des aveux qui lui valent d’être mis en examen le 2 avril 2013. Viennent ensuite les aveux publics. Dans un billet publié sur son blog, Jérôme Cahuzac assure qu’il a fait acte de repentance : il a tout avoué aux juges et il souhaite rapatrier sur un compte en France les 600.000 euros qui dorment à l’étranger.
Le compte transféré à Singapour. Sauf qu’il ne s’agit que d’aveux partiels. C’est Patricia Cahuzac, la femme du prévenu, qui va apporter de nouveaux éléments aux enquêteurs. Elle détaille d’abord la logistique qui s’est opérée autour des comptes ouverts en Suisse. Il fallait placer l'argent qui coulait à flot, de la clinique mais également des activités de conseil de Jérôme Cahuzac auprès de laboratoires pharmaceutiques, dans les années 1990.
L'enquête révèle comment Jérôme Cahuzac, sous le nom de code "Birdie", se fait livrer 10.000 euros, en espèces, dans la rue, à Paris. Sont décrites les routes toujours plus sinueuses de la fraude fiscale. Un premier compte ouvert par un "ami" en 1992 à UBS, puis un autre au nom de Cahuzac lui-même l'année suivante. En 1998, tous les avoirs sont transférés chez Reyl. Lorsque le sacro-saint secret bancaire suisse commence à se fissurer en 2009, les quelque 600.000 euros qu'y détient Jérôme Cahuzac prennent la route de Singapour, en faisant un détour par une société enregistrée aux Seychelles et mise en place par un intermédiaire à Dubaï.
Le compte sur l’île de Man. En 1997, les époux Cahuzac ouvrent aussi ensemble un compte à la Al Bank of Scotland sur l'île de Man. Patricia Cahuzac y dépose les chèques des patients anglais de leur florissante clinique du cheveu. Un compte géré par l'épouse, et sur lequel Jérôme Cahuzac a eu procuration pendant plusieurs années, avant que leur relation se dégrade et que Patricia Cahuzac aille à son tour trouver refuge en Suisse en 2007.
L’argent déposé sur le compte de la mère Cahuzac. Même les comptes de la mère de l'ex-ministre, qui n'est pas elle-même mise en cause, servent à "blanchir", entre 2003 et 2010, quelque 200.000 euros de chèques établis par des clients de la clinique. A l’époque, entre 2003 et 2010, Jérôme Cahuzac est élu devant l'Assemblée, puis président de la commission des Finances.
Il s'agissait d'une "gestion familiale", dira aux enquêteurs Patricia Cahuzac. L'argent a servi à payer des vacances somptuaires ou des appartements aux enfants à Londres. Depuis, elle a revendu les appartements et s'est acquittée d'un redressement de plus de deux millions. L'ex-ministre a rapatrié ses avoirs. Reste la sentence judiciaire.