C’est un moment d’une intensité terrible qui s’est joué mardi après-midi, lors de l’audience en cour d’assises des mineurs de Rennes, du troisième procès Outreau. Thierry Delay, entendu en visioconférence depuis la maison d’arrêt où il a été incarcéré en 2001, a été confronté à Chérif et Jonathan, deux de ses quatre fils. A tour de rôle, les frères ont demandé au président de la cour à s’adresser directement à ce père qui les a violés trois fois par semaine pendant des années.
Daniel Legrand fils, l'un des 13 acquittés d'Outreau, est jugé devant la cour d'assises des mineurs d’Ille-et-Vilaine pour des viols sur les quatre enfants Badaoui-Delay, qu'il aurait commis alors qu'il avait moins de 18 ans. Des faits identiques à ceux pour lesquels il a été acquitté en 2005.
"Quand je te vois, je n’ai plus peur". A la barre, c’est d’abord Chérif, le fils adoptif surnommé "Kevin", qui s’exprime. Cela fait dix ans qu’il n’a vu pas son père, condamné en 2004 à 20 ans de réclusion pour les avoir violé avec leur mère, Myriam Badaoui, et un couple de voisins, les Delplanque-Grenon. "Tu vois, aujourd’hui je fais 1,82 mètre et 71 kilos. T’es dans mes cauchemars et pourtant, quand je te vois, je n’ai plus peur. Tu me fais pitié", lâche l’aîné de la fratrie Delay, du haut de ses 25 ans. Avant, fou de colère, d’insulter son père devant la cour : "T’es qu’une merde".
Quatre adultes et c’est tout. Puis c’est au tour de Jonathan, troisième de la fratrie, de s’avancer à la barre. "J’ai des questions à te poser", prévient le jeune homme de 21 ans. "Est-ce que tu confirmes qu’il n’y avait pas d’autres adultes ? Est-ce que tu as le courage de le dire ?", interroge Jonathan qui, tout comme son grand frère, accuse Daniel Legrand fils d'être l'un des auteurs des agressions sexuelles qu'il a subies dans son enfance.
Sur l’écran de la visioconférence, Thierry Delay, l’air perdu, marque une pause. Ses réponses sont laborieuses. Il dit souffrir d’une sclérose en plaques. "Non, on n'était que quatre, personne d’autre", affirme-t-il, ferme, réitérant les déclarations qu’il avait faites à Paris, en novembre 2005, lors du procès en appel.
Ces 4 adultes: lui même, sa femme Myriam Badaoui et un couple de voisin David Delplanque et Aurelie Grenon. C'est tout.#outreau@europe1
— Noemie Schulz (@noemieschulz) 26 Mai 2015
Thierry Delay disculpe Daniel Legrand. Avec cette réponse, celui que l’on surnommait "le monstre d’Outreau" exonère totalement Daniel Legrand fils, qu’il soutient n’avoir jamais vu avant les deux premiers procès de l’affaire, à Saint-Omer en 2004, puis à Paris, en 2005. L'homme de 51 ans a également réaffirmé n’avoir pas connu non plus Daniel Legrand père, mêlé au réseau de pédophilie présumé avant d’être acquitté en 2004.
Mais avec cette réponse, Thierry Delay projette aussi ses enfants dans le camp des menteurs. Dans le prétoire, Jonathan Delay tremble. "J’aimerais que tu m’expliques pourquoi, pourquoi avoir commis tant de choses ?", lance-t-il à celui qui a commencé à les violer en 1995.
"L’alcool" pour seule explication. Un peu plus tôt au cours de l’audience, le président avait posé en substance la même question à Thierry Delay : "Mais comment des parents peuvent-ils faire cela à leurs enfants ?" En guise de réponse, le père incestueux s’était contenté d’un seul mot, "l’alcool", illustrant à quel point il est difficile d’expliquer l’inexplicable.
Myriam Badaoui attendue à la barre. Mercredi, c'est leur mère, Myriam Badaoui - dont les révélations changeantes avaient fait basculer l'affaire d'Outreau - qui sera auditionnée. Condamnée à 15 ans de réclusion criminelle pour avoir violé ses fils, elle a été libérée en 2011 après avoir purgé les deux-tiers de sa peine. Interrogé à son sujet, Thierry Delay a estimé que son ex-femme était "un petit peu mythomane".
La présence de celle qui fut au cœur de l’instruction de ce fiasco judiciaire est particulièrement attendue dans ce troisième procès où ne cessent de réapparaître les fantômes d’Outreau. Mardi, le président de la cour, Philippe Dary, a souligné : "Le problème de ce procès, c'est qu'il a lieu. Maintenant il faut qu'il aille au bout".