A détenu hors du commun, conditions de détention exceptionnelles. Remis à la France mercredi matin, Salah Abdeslam a passé sa première nuit au quartier d'isolement de Fleury-Mérogis, la plus grande prison d'Europe. Et c'est une première en France, parmi les mesures de sécurité hors normes déployées pour l'accueillir, un dispositif de vidéosurveillance a été mis en place en amont de son arrivée. L'objectif, bien sûr, étant de parer tout risque de suicide ou d'évasion de la part de celui que les familles des victimes du 13 novembre attendent toutes de retrouver sur le banc des accusés.
Quel est le dispositif de vidéosurveillance mis en place ? Salah Abdeslam a été installé dans le quartier d'isolement à Fleury, au sein d'une cellule aménagée de façon similaire à une "cellule de protection d'urgence" (CPU), réservée aux détenus à risques suicidaires. Fait inédit, deux caméras ont été installées à l'intérieur de sa cellule afin de permettre aux surveillants de suivre les moindres faits et gestes du suspect - sans filmer toutefois le coin sanitaire.
Salah Abdeslam va-t-il être filmé 24h/24 ? Dans un premier temps, l'ex-fugitif le plus recherché de France va être filmé en permanence. Mais pas question, assure-t-on de source pénitentiaire, que cette situation traîne dans la durée plusieurs années, en attendant un procès qui ne se déroulera probablement pas avant trois ou quatre ans. Comme l'a indiqué dans un communiqué mercredi soir, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, "la pérennisation éventuelle de cette mesure fera l’objet d’une étude complémentaire."
En d'autres termes, la Chancellerie étudie les modalités juridiques pour savoir comment, et dans quelles conditions, celle-ci va pouvoir être étendue dans le temps et dans quelles mesures les enregistrements et les vidéos vont être conservés - un point qui nécessite l'accord de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). La vidéosurveillance pourrait-elle être entrecoupée de pauses dans la journée, limitée à un certain nombre d'heures quotidiennes ? Salah Abdeslam allant probablement rester des années en prison, il n'est pas question qu'il soit filmé 24h/24 autant de temps.
Que prévoit la loi dans les prisons françaises ? L'usage de la vidéosurveillance existe déjà au sein des établissements pénitentiaires français, mais concerne les lieux collectifs de la détention comme les ateliers de travail ou certaines unités de soin. Pour ce qui est de la vidéosurveillance au cœur des cellules, la loi française prévoit la mise en place de ce dispositif en détention dans un seul cas : celui des cellules de protection d'urgence.
Ces dernières, équipées de caméras, sont exclusivement réservées aux détenus "dont l'état apparaît incompatible avec leur placement ou leur maintien en cellule ordinaire en raison d'un risque de passage à l'acte suicidaire imminent ou lors d'une crise aiguë", comme l'indique un arrêté du 23 décembre 2014. Dans ce texte de loi visant "à garanti(r) la sécurité de la personne placée" et à prévenir le suicide, c'est d'ailleurs le terme "vidéoprotection" et non "vidéosurveillance" qui est employé. Et l'enregistrement vidéo est strictement limité "à 24 heures consécutives", tandis que les données personnelles ne peuvent être conservées plus d'un mois.
"C'est un dispositif qui n'est pas forcément connu, mais qui est utilisé quand on a affaire à une personne qui est vraiment en crise suicidaire. Jusqu'à présent, c'était dans ce cadre là…", explique à l'antenne d'Europe 1 Jimmy Delliste, directeur de la maison d’arrêt de Nanterre. Pour le secrétaire général de FO-Pénitentiaire direction, ce dispositif, désormais appliqué au détenu Salah Abdeslam en raison son profil sensible, est donc légal.
Alors, l'aménagement vidéo de la cellule d'Abdeslam est-il légal ou non ? "La cellule est équipée d’un dispositif de vidéosurveillance, dont les modalités d’usage ont été fixées conformément aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du droit français de la protection des données personnelles", a assuré Jean-Jacques Urvoas, mercredi soir. Une déclaration qui n'a pas manqué de susciter des réactions sceptiques sur les réseaux sociaux, parmi lesquelles certains avocats estimant que cette vidéosurveillance n'est pas conforme aux droits de l'homme.
Ca ne serait pas étonnant que la CEDH soit saisie du fait qu'Abdeslam soit filmé h24.
— Arthur (@arthcer) 28 avril 2016
Surveillance 24h/24h, dans tous les moments de l'intimité, serait compatible avec CEDH..suis très sceptique #prisonhttps://t.co/AovvOqj3kM
— Delphine Boesel (@DelphineBOESEL) 27 avril 2016
Contacté par Europe 1, l'Observatoire international des prisons pointe qu'il n'existe "pas de cadre légal pour une surveillance 24h/24" et que "le seul dispositif existant à l'heure actuelle et qui permet la surveillance d'un détenu 24 heures s'inscrit dans le cadre de la prévention du suicide". L'OIP note également qu'au regard des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, ayant trait à l'interdiction des peines ou traitements inhumains dégradants et au respect de la vie privée, une surveillance 24h/24 ne passe pas.
"Tout ce qui va être mis en œuvre pour la sûreté et la prise en charge de Salah Abdeslam va rester vraiment en concordance avec le droit", défend de son côté Jimmy Delliste. La Chancellerie collabore actuellement avec la CNIL et d'autres organismes sur le sujet afin que "la vidéosurveillance qui sera mise en œuvre soit complètement en conformité avec le droit européen, de façon à ce que la France ne soit pas condamnée", a conclu le directeur pénitentiaire.