Elle se dit victime d'une famille tyrannique et radicalisée, l'Etat la considère comme "une menace grave à l'ordre public": la justice s'est penchée mercredi sur l'expulsion d'une Roubaisienne partie mineure en Syrie avec sa famille, de retour en France avec ses deux filles. La jeune femme, 24 ans, appartient à la famille Tahar Aouidate, l'"une des plus grandes familles jihadistes françaises", dont 23 membres ont rejoint l'organisation État islamique (EI), a insisté le préfet du Nord Georges-François Leclerc devant la commission d'expulsion du tribunal de Lille - qui rendra son avis le 27 septembre.
Parmi eux figure Fodil Tahar Aouidate, son oncle, l'un des onze Français condamnés à mort en Irak en 2019, pour trafic d'esclave, et connu du renseignement pour ses liens avec Abdelhamid Abaaoud, le coordinateur des attentats du 13 novembre 2015. Deux de ses tantes ont aussi été condamnées en France pour "financement du terrorisme" pour avoir, selon le tribunal, envoyé 15.000 euros en Syrie, notamment des allocations familiales. L'une a été expulsée vers l'Algérie.
La jeune femme n'a pas la nationalité française
La jeune femme, elle, a été conduite en zone contrôlée par l'EI par sa mère en 2014, à 15 ans, avec sa fratrie, puis mariée dans la foulée à un jihadiste belge, avec qui elle aura deux filles. De retour en France, après cinq ans sur place puis quatre ans dans le camp de prisonniers jihadistes de Roj, contrôlé par les Kurdes, elle espère rester dans son pays de naissance, mais n'en a pas la nationalité : sa mère a refusé de la lui demander à l'adolescence, faisant d'elle aujourd'hui une ressortissante algérienne en situation irrégulière.
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"J'affirme qu'elle constitue aujourd'hui une menace grave pour la République française", lance le préfet, défendant sa procédure d'expulsion vers un pays où la jeune femme n'est jamais allée. Avant de dérouler les faits reprochés : un rire quand elle évoque une décapitation lors d'une audition avec la DGSI, une considération sur les chiites qui "sont des malades" lors des mêmes échanges ou encore "un lien pas rompu avec son relationnel jihadiste".
"Un processus de dissiumulation"
La jeune femme "intéresse la justice allemande", révèle aussi le préfet, pour s'être "mariée religieusement" en ligne avec un autre jihadiste. "Quand on épouse une deuxième fois, c'est qu'on épouse une cause", affirme-t-il sans préciser la date de cette seconde union. Georges-François Leclerc voit dans ces éléments "un processus de dissimulation", ou "taqiya", et insiste sur ses "ambiguïtés" avec l'islamisme. Il cite une décision du tribunal administratif en avril validant la prolongation d'une mesure de surveillance administrative au motif que la jeune femme "n'apporte aucun élément probant corroborant une condamnation de sa part des actes de terrorisme commis par les membres de la communauté à laquelle elle a appartenu".
"Je ne comprends pas cette obstination de la préfecture", rétorque son avocate, Me Marie Dosé, pour qui sa cliente, jamais mise en examen et qui s'est constituée partie civile contre sa famille, n'a fait que subir son enfance puis son séjour en zone irako-syrienne. "La préfecture vous raconte des choses, cette espèce de fiction, sans même pouvoir établir la véracité d'une virgule de ce qu'elle raconte", affirme-t-elle. Elle décrit la déscolarisation à 13 ans, le voile intégral, l'interdiction de regarder à travers la fenêtre de sa chambre, les coups. Et la haine de sa mère qui, "avec l'école", est "probablement" ce "qui l'a sauvée de cette idéologie" radicale.
"Je viens d'une famille tyrannique que je n'ai pas choisie"
Me Dosé requalifie le mariage forcé -"un viol" - et insiste sur la volonté de la jeune femme de fuir l'EI. "Je viens d'une famille tyrannique que je n'ai pas choisie", affirme dans une lettre lue à l'audience la jeune femme, non présente, car hospitalisée. "Je ne suis ni un danger, ni une menace. Simplement encore cette petite fille à qui on a volé son enfance", ajoute-t-elle. "Mon plus grand rêve, c'est d'aller à Disneyland avec mes filles." "Deux petites filles" actuellement placées, "qui n'ont rien demandé", et pour qui, souligne Marie Dosé, l'"affaire recèle un enjeu considérable".