L'INFO. Traître de la Nation ou un héros de la démocratie ? Le procès en cour martiale de Bradley Manning a débuté lundi vers 16 heures, heure française. Ce militaire américain, incarcéré sur la base de Quantico en Virginie depuis plus de 1.000 jours maintenant, est accusé d'avoir livré des milliers de câbles diplomatiques (messages confidentiels, ndlr) américains au site Internet WikiLeaks. Il entend plaider coupable pour 10 des 22 chefs d'accusation que lui reproche la justice militaire américaine et encourt la prison à perpétuité. Qu'est ce qui a bien pu pousser Bradley Manning à un tel acte ? Éléments de réponses.
Un féru d'informatique. Avant de devenir analyste en renseignement en Irak, Bradley Manning est surtout un féru d'informatique mal dans sa peau qui a atterri dans l'armée un peu par hasard. Né dans l'Oklahoma, dans la petite ville de Crescent, Bradley Manning a eu une enfance difficile. Il a souvent été victime des moqueries de ses camarades de classe. "Il se fâchait souvent, il lançait les livres sur les tables si on ne l'écoutait pas ou si on ne comprenait pas ce qu'il voulait dire", raconte Chera Moore, l'un de ses anciens camarades de classe au New York Times. Quelques années plus tard, sa mère et son père divorcent. Bradley Manning déménage alors dans le sud du Pays de Galles. Là aussi, sa vie est difficile. Son homosexualité lui vaut quelques humiliations, raconte la BBC. A la fin de ses études, il décide de rentrer aux Etats-Unis. De petits boulots en petits boulots, celui que ses proches décrivent comme obsédé d'informatique rejoint l'armée américaine en 2007.
Souffrant du tabou gay. En 2009, le soldat est envoyé en Irak. Là encore, Bradley Manning souffre d'un de problèmes d'intégration et des quolibets de ses frères d'armes. Sur Facebook, il poste un message le 5 mai 2010 dans lequel il fait part de son dépit : "Bradley Manning est frustré, frustré des gens, frustré de la société" ou bien encore "Bradley Manning n'est pas une pièce rapportée." Le soldat qu'il est devenu n'adhère pas aux valeurs que cherche à lui inculquer l'armée américaine. Et surtout il souffre du tabou de son homosexualité et de la loi en vigueur à l'époque -"Dont ask, don't tell"- qui oblige à taire son orientation sexuelle sous peine d'être exclu du corps militaire.
La bavure d'un hélicoptère. Bradley Manning est également en opposition avec la politique américaine menée en Afghanistan ou en Irak. "Je croyais que la publication (des documents) pourrait provoquer un débat public sur nos forces armées et notre politique étrangère en général", a expliqué le jeune homme de 25 ans à la juge Denise Lind, lors d'une audience préliminaire à son procès. Lui se considère innocent des accusations les plus graves, dont celle de "collusion avec l'ennemi", passible de la réclusion à perpétuité. Au cours de son exposé, Bradley Manning se retrouve face à une armée qui "ne semblait pas accorder de valeur à la vie humaine". "Plus je tentais de bien faire mon travail, plus je sentais que je m'aliénais mes pairs", a-t-il expliqué pour justifier sa volte-face.
Sa déposition rendue publique par la fondation "Freedom of the Press" :
Un événement en particulier l'a fait réfléchir : la bavure commise par un hélicoptère de combat contre des civils en Irak en juillet 2007, dont il a fait fuiter la vidéo. Ce document montre à ses yeux une "exquise soif de sang" des militaires. "Nous devenions obsédés par la capture ou l'élimination de cibles humaines", a-t-il témoigné. Pour sa défense, Bradley Manning assure n'avoir diffusé que des documents qui ne causeraient pas de "tort" à la sécurité des Etats-Unis.
Un héros ? Il décide de passer à l'acte et commence à télécharger des documents depuis une librairie de la banlieue de Washington lors d'une permission en février 2010. Pour l'analyste qu'il est, l'accès à ces données est facilité. Il les transfère sur de faux CD… de Lady Gaga. Il prend contact avec le Washington Post, le New York Times mais finalement se tourne vers WikiLeaks et son fondateur, un certain Julian Assange, bien que les liens entre les deux hommes sont encore obscurs. Un plan sans accroc ? C'était sans compter quelques confidences de trop à Adrian Lamo, un pirate informatique. "Hillary Clinton et des dizaines de milliers de diplomates dans le monde vont avoir une crise cardiaque un matin quand ils se réveilleront et découvriront qu'un répertoire complet de documents classifiés sur la politique étrangère est accessible", avait-il écrit à ce hacker, comme le montre des extraits de leurs conversations publiées par le magazine Wired.
Ce soldat pas comme les autres a attiré la sympathie de nombreuses personnalités : Michael Moore, le réalisateur, la colonelle à la retraite Mary Ann Wright ou bien encore un autre analyste de l'armée, Daniel Ellsberg, qui avait également dévoilé des documents secrets du Pentagone relatifs à la guerre du Vietnam. "La personne qui a fait cet enregistrement (...) a rendu un fier service au public américain. Pour la première fois, le public peut entendre le soldat expliquer lui-même ce qu'il a fait et pourquoi il l'a fait (...). Après avoir écouté ce témoignage, je crois que Bradley Manning est la personnification même de l'expression 'lanceur d'alerte'". Selon Daniel Ellsberg, le jeune soldat mériterait une médaille du Congrès, voire… le prix Nobel de la paix car, selon lui, Bradley Manning a permis d'accélérer la fin de la guerre en Irak.