Comment un navire de près de 300 mètres de long et d’un poids de 112.000 tonnes a-t-il pu faire naufrage à seulement quelques dizaines de mètres de la côte ? C’est à cette interrogation que l’enquête devra répondre après l’échouage du navire Concordia au large de l’Italie, près de l’île du Giglio.
Sur les 3.000 touristes à bord du navire de la compagnie Costa Croisières, six personnes sont mortes et une quinzaine de personnes sont toujours portées disparues. Un naufrage qui fait apparaître de nombreux dysfonctionnements dans la sécurité de ces navires. Europe 1 fait le point sur l’affaire.
Pourquoi l’évacuation a-t-elle été aussi longue ? Les témoignages des rescapés évoquent une désorganisation totale de la part de l’équipage du navire. Selon les premiers éléments de l’enquête, entre le choc de la coque du bateau avec le rocher et l’activation de l’alarme d’évacuation, il s’est passé près de 45 minutes durant lesquelles, les passagers disent avoir été "livrés à eux-mêmes".
Les passagers ont-ils reçu des consignes de l’équipage ? Les passagers évoquent des scènes de panique où chacun se bat pour obtenir un gilet de sauvetage. Au moment où l’alarme se déclenche, les touristes se bousculent pour arriver sur le pont. Certains d’entre eux déplorent le manque d’information de la part de l’équipage.
"On nous a fait monter sur les ponts en haut et on a attendu plus d’une heure avant qu’ils nous disent d’aller rejoindre les bateaux. On ne voyait pas de membres de l’équipage travailler. Ce sont les gens du service qui se sont mis à défaire les bateaux (de sauvetage)", raconte Joëlle, une des rescapés au micro d’Europe 1.
Selon Patrick Pourbaix, directeur général adjoint de Costa France, l’évacuation a été rendue difficile à cause de l’inclinaison du navire : "comme le bateau était penché, il était très difficile de sortir les bateaux de sauvetage. Cela a été plus laborieux, plus compliqué. Cela explique la confusion et la désorganisation".
Pourquoi le commandant a-t-il quitté le navire ? Sur ces bateaux de croisière, il y a des règles et des obligations très précises pour les compagnies, comme par exemple un nombre de canots et de gilets fixes. Le personnel doit également suivre des formations où l’équipage se prépare à faire face aux incendies ou à un naufrage. Certains membres du personnel sont plus particulièrement chargés des procédures d’évacuation.
Lors des formations sur les canots de sauvetage, le bateau n’est pas en mouvement et surtout il n’est pas incliné comme c’était le cas pour le Concordia lors de son naufrage. Cette absence de formation en conditions réelles peut expliquer en partie le manque de préparation de l’équipage. Reste à établir les responsabilités. En premier lieu, les enquêteurs devront comprendre pourquoi le commandant de bord a déserté le navire avant d’avoir évacué les passagers.
Pour Christian Buchet, expert maritime à l’Institut catholique de Paris, cette "fuite" est inexplicable : "c’est le premier maître de la sécurité, le commandant. Au moment où l’on a le plus besoin de lui, qu’il puisse quitter son navire, je n’ai jamais vu ça ! L’évacuation d’un navire, ça suppose de la coordination, de l’harmonie et de l’ordre. Tout remonte en haut de la pyramide. C’est le commandant qui doit donner cette impulsion. Abandonner, c’est quelque chose qui ne peut que faire germer la zizanie et la panique".
Le capitaine du Concordia est en garde à vue depuis lundi soir. La compagnie l’accuse d’avoir commis des erreurs de jugement.
Y a-t-il eu une défaillance technique ? Selon les premiers éléments de l’enquête, le bateau a bien dévié de sa trajectoire. Le Concordia s’est donc retrouvé à proximité des côtes et c’est à ce moment-là qu’il a heurté le rocher.
En temps normal, la trajectoire est prévue à l’avance par le commandant et enregistrée dans le pilote automatique. Pour Hubert Ardillon, ancien commandant et président de l’association française des capitaines de navire, la technologie à bord aurait pu permettre d’éviter cet accident.
"Une erreur humaine, ça arrive", rappelle l'ancien commandant :
Concordia : "une erreur humaine, ça peut arriver""Il y a des radars qui servent à la fois à situer et aussi en anticollision avec les autres navires sur l’eau. On n’a pas un GPS, on en a trois ou quatre avec une antenne séparée ce qui fait que si l’un tombe en panne, il y en a toujours un qui donne le point. Il y a aussi un sondeur (pour les fonds marins). Il y a des alarmes sur les sondeurs. Après, ça se règle soi-même. Je ne sais pas s’il était en marche ou pas. Et puis, il y a le fait que l’on peut se tromper. La personne qui était là a pu se tromper. C’est ce qu’on appelle une erreur humaine. Ça arrive".
Les réponses à ces questions se trouvent en partie dans les boîtes noires du navire. Elles contiennent l’enregistrement des conversations dans la salle de commandement. Dans huit cas sur dix, un naufrage est dû à une erreur humaine.