"Dabiq", l’arme médiatique de l’Etat Islamique

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avec AFP , modifié à
L’organisation de l’Etat islamique publie sur Internet un magazine en anglais : "Dabiq". 50 pages de prêches, d’appels au djihad et de photos d’exécutions.

Al Qaïda avait déjà "Inspire", sa revue éditée dans la péninsule arabique. Depuis cet été, l’Etat Islamique a "Dabiq". Dans leur lutte contre "l’Occident", les deux organisations terroristes ne négligent pas la guerre médiatique, c’est même l’une des forces de l’EI. Tweets prosélytes, parodie de GTA et vidéos de décapitation font partie de cette vitrine médiatique au sein de laquelle figure en bonne place Dabiq, un magazine de 50 pages écrit en anglais et disponible sur le Net. La publication a été baptisée ainsi en référence à une ville du nord de la Syrie où se tiennent des combats acharnés entre les pro-Assad et les moujahidhines.  

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"Dabiq" justifie l’esclavage des femmes et des enfants

Dans son quatrième numéro qui vient de paraître, les communicants de l’EI affirment que les femmes et enfants yazidis, cible des djihadistes en Irak, ont été livrés aux combattants de Daech. Un "butin de guerre", soit des centaines de civils réduits en esclavage. "Après leur capture, les femmes et enfants yazidis ont été répartis parmi les combattants de l'EI ayant participé aux opérations de Sinjar", affirme l'article, qui se félicite de ce retour à l’esclavage, "probablement le premier depuis l'abandon de cette loi de la charia". Dans ses colonnes, "Dabiq" explique que "les gens du Livre", c’est-à-dire les adeptes des religions monothéistes, comme les chrétiens et les juifs, pouvaient échapper à ce sort car ils ont la possibilité de verser une taxe appelée "jizya" ou de se convertir, mais cela n'a pas été appliqué aux Yazidis, polythéistes.

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Destruction

© Capture d'écran Dabiq

Un lectorat mondialisé

Tribune du porte-parole de l’Etat islamique, photos de combattants, doigt pointé vers le ciel, et cadavres de soldats kurdes "éliminés par les glorieux soldats de l’Etat islamique", Dabiq déploie tout un arsenal idéologique pour diffuser sa cause dans le monde entier. En montrant des orphelins pris en charge par l’EI d’un côté, tout en publiant des photos sanglantes de soldats "impurs" éliminés par les djihadistes.

Alterner démonstrations de violence et charité islamique, le tout dans des textes où les références au Coran sont légion. Dabiq, édité en anglais et traduit en français (le numéro deux du moins), s’adresse clairement à un lectorat mondialisé, qu’il cherche à convaincre dès les premières lignes. "Plusieurs lecteurs sont probablement en train de se poser des questions au sujet de leurs obligations envers le Khilâfah (le califat) actuellement (…) et l’équipe de Dabiq souhaite transmettre la position de l’EI sur cette chose importante" , peut-on lire dans les premières pages du numéro 4.

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Avec "Dabiq", l’EI concurrence Al Qaïda

Avec son magazine, l’Etat islamique concurrence encore un peu plus Al Qaïda. Les deux organisations luttent pour accroître leur prestige auprès des aspirants djihadistes du monde entier. En effet, l’une comme l’autre espère se développer grâce à des groupes extérieurs, situés au-delà de leur sphère d’influence, qui revendiqueraient leur affiliation à l’une de ces organisations terroristes. L’exemple du groupe algérien Jund-Al-Khalifa, auteur de l’assassinat d’Hervé Gourdel, est significatif. En décapitant l’otage français sur le mode opératoire de l’EI, Jund-Al-Khalifa a marqué son éloignement d’Al Qaïda, dans le giron duquel il s’était développé.

 

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Appel au djihad et aux "loups solitaires"

Outre la lutte pour le monopole du marché terroriste, Dabiq permet aussi à l’EI de susciter des vocations dans le monde entier. Dans le dernier numéro, un des articles appelle les "loups solitaires" à agir dans les pays qui prennent part à la coalition. Des messages qui ne sont pas sans rappeler ceux passés dans "Inspire", la revue d’Al Qaïda.

Interviewé par Slate, Yves Trotignon, spécialiste du terrorisme, explique que ces publications sont en partie conçues comme des manuels de conseils pratiques aux aspirants djihadistes. "En décembre dernier, deux Somaliens ont été arrêtés à Bonn par les Allemands. Ils préparaient un attentat avec une bombe qui était parfaitement comparable à celles décrites dans Inspire. Inspire est la bible en matière de propagande djihadiste. Surtout, elle est conçue comme une vraie revue et on y trouve absolument tout: des conseils opérationnels, de la réflexion idéologique, des témoignages, des reportages... Inspire diffuse du savoir-faire à grande échelle, comme autant de bouteilles lancées à la mer."

L'inondation

Culte de la personnalité

Enfin, en mettant en avant Abou Bakr al-Baghdadi, "Dabiq" contribue à l’entretien du culte de la personnalité du fondateur de l’Etat islamique. Une dynamique largement nourrie, d’abord par le mystère qui entourait sa personne, puis par ses apparitions sporadiques sur des vidéos Youtube.

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S’il est difficile d’évaluer l’impact de ces publications sur l’opinion publique mondiale, Dabiq sert aussi à présenter l’Etat islamique comme une entité réelle et crédible, estime Richard Barrett, ancien responsable britannique de la lutte anti-terroriste. Sur Internet ou dans ses magazines, l’EI a parfaitement intégré les logiques médiatiques. Et appliqué la devise "le poids des mots, le choc des images".  

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