Le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdeljalil, a annoncé dimanche la réintroduction de la charia après 42 ans de règne de Mouammar Kadhafi. Ses propos ont provoqué l'émoi de la communauté internationale, également vigilante après la victoire des islamistes aux élections tunisiennes. Mais que recouvre concrètement cette loi islamique qui, en France, rappelle les lapidations publiques du régime taliban ou l’Arabie saoudite qui tranche la main de ses voleurs ? Europe 1 fait le point.
A quoi correspond la charia ? La charia est la loi islamique codifiant l'ensemble des droits et des devoirs tant individuels que collectifs des musulmans. Dans sa définition purement religieuse, la charia est la voie, le chemin que doit suivre tout musulman dans sa vie quotidienne pour respecter la loi de Dieu. Or, dans l’islam, il n’y a que cinq véritables obligations : la reconnaissance d’Allah, la prière, l'aumône, le pèlerinage et le jeûne.
"Il n'y a pas d'obligation d'être polygame" :
Tout le reste n’est qu’interprétation ou tradition. C’est le cas de la polygamie par exemple. "La polygamie est dans le Coran. Tout ce qui est dans le Coran fait partie de la charia. Sauf qu'il n'y a pas d'obligation d'être polygame", a expliqué à Europe 1 l'anthropologue des religions Malek Chebel. " Un pays moderniste considère que ni Dieu ni le prophète n'y tiennent absolument, par conséquent on peut parfaitement l'abolir", a-t-il ajouté.
Est-elle appliquée de la même façon partout ? L’application de la charia varie de pays en pays, en fonction du contexte politique. Il existe des pays très conservateurs, extrêmement rigoristes comme l’Arabie Saoudite où les femmes n’ont pas le droit de conduire et où l’on tranche encore la main des voleurs en place publique. On est là dans l’application la plus rétrograde de la charia.
A l'opposé, il y a des pays comme la Jordanie, le Maroc ou le Sénégal qui se référent au droit musulman, mais qui veillent à ce qu’il soit compatible avec le droit international.
La charia peut-elle être instrumentalisée ? Au nom de la charia, l'Afghanistan tolère encore la lapidation des femmes adultères, malgré la présence des troupes occidentales et peut-être même aussi à cause de cette présence. Le président Hamid Karzai souhaite en effet donner des gages aux secteurs les plus conservateurs de la société pour les empêcher de basculer vers les talibans.
"Les partis islamistes avancent masqués" :
Certains pointent donc du doigt un risque d’"instrumentalisation" politique de la charia par les mouvements islamistes en Libye ou en Tunisie. "Les partis islamistes avancent masqués. Ils n'ont pas axé leur discours sur la charia. C'est un discours du rejet de l'autre, de la haine de l'Occident. Les gens qui ont voté pour eux ont voté parce qu'ils sont apparus comme les protecteurs de l'identité arabo-musulmane", a dénoncé au micro d'Europe 1 la Tunisienne Najet Mizouni, professeure de droit public et candidate malheureuse aux dernières élections. "Ce fut une campagne populiste", a-t-elle résumé après la victoire des islamistes du parti Ennahda en Tunisie.
Qui est menacé par la charia ? Ce populisme des partis islamistes inquiète en tout premier lieu les femmes. "On serait les premières victimes sur tous les plans. Il y a du chômage, mettons les femmes au foyer, c'est ce qui a été dit auparavant. Ça peut être aujourd'hui dans le code du travail. Ils peuvent très bien interdire aux femmes de travailler", a pris comme exemple Najet Mizouni. Si la charia devait prochainement être inscrite comme source de la loi au sein de la Constitution, ce serait "vraiment dangereux", a-t-elle prévenu.
Toujours est-il que les islamistes n'ont remporté qu'une majorité relative en Tunisie. Ils restent donc très prudents sur l'application de la charia. Le président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, a de son côté affirmé lundi que les Libyens étaient des "musulmans modérés", cherchant à rassurer la communauté internationale.