Ferguson : les Américains découvrent leur "police militaire"

A Ferguson, les policiers ressemblent étrangement à des soldats en mission.
A Ferguson, les policiers ressemblent étrangement à des soldats en mission. © REUTERS
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DANS LE VISEUR - A Ferguson comme ailleurs aux Etats-Unis, la police a le droit de récupérer du matériel militaire, et ne s’en prive pas.

Des hommes en tenue de camouflage, fusil d’assaut à la main, des snipers en embuscade et des véhicules blindés : depuis quelques jours, Ferguson, petite ville du Missouri qui s’est embrasée après la mort d’un jeune Noir, tué par la police, ressemble à une zone de guerre. Rien d’étonnant à cela, puisque les policiers chargés du maintien de l’ordre face aux manifestants sont équipés, comme ailleurs dans le pays, avec des armes militaires. De quoi surprendre les Américains, qui ne savaient pas leur police aussi militarisée.

"En Bosnie, des armes moins puissantes". Sur les images qui ont fait le tour du monde depuis la mort de Michael Brown le 8 août dernier, difficile en effet de ne pas remarquer l’impressionnant équipement des forces de l’ordre. Sur Twitter, de nombreux vétérans de l’armée américaine n’ont pas manqué de le souligner, sur un ton parfois amère. "Je ne sais comment c’était en Irak ou en Afghanistan, mais en Bosnie, lors des patrouilles nous avions des armes moins puissantes que les policiers de Ferguson", écrit ainsi Dan Bramos, un ancien membre de la Navy.

Même constat pour Brandon Friedman, qui assure, photo à l’appui, qu’il était moins bien équipé pendant l’invasion de l’Irak.

Cet équipement n’a rien d’un hasard : aux Etats-Unis, "on a une police militaire : tous les surplus militaires depuis la guerre d’Irak ou d’Afghanistan ont abouti dans les polices locales", explique sur Europe 1 Nicole Bacharan, politologue et spécialiste des Etats-Unis. C’est ainsi qu’à Ferguson, les quelques 150 manifestants se retrouvent depuis plusieurs jours face à des policiers équipés de fusils d’assaut et de casques noirs sur la tête. 

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Le "programme 1033". Équiper les policiers avec les surplus de l’armée américaine, ce n’est pas nouveau. En juin dernier, le New York Times expliquait déjà comment le matériel de combat des troupes "atterrissait dans les départements de police, sans que quiconque y prête vraiment attention". Ce processus, baptisé "programme 1033", a débuté au début des années 1990, avec une loi autorisant l’armée à transférer son matériel aux forces de police, relate de son côté Newsweek. Le principe : les forces de police peuvent piocher gratuitement dans les surplus de l’armée, qui seraient autrement détruits.

A l’époque, le pays connaît une vague de criminalité et il s’agit avant tout pour les forces de l’ordre de lutter à armes égales avec les trafiquants de drogue. Déjà, la frontière commence à se brouiller entre la police et l’armée. La confusion devient encore plus grande après les attentats du 11-Septembre, quand George W. Bush décide que la police sera désormais "aux avant-postes dans la lutte contre le terrorisme".

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© REUTERS

La devise du "programme 1033", "du combattant de guerre au combattant contre le crime", ne laisse d’ailleurs pas planer le doute. Il est tentant pour les polices locales de se procurer des équipements militaires pour une bouchée de pain, voire gratuitement. C’est ainsi que des petites villes du Michigan ou de l’Indiana se sont mises à acquérir des véhicules blindés, des tenues de camouflage et des lunettes de vision nocturne. D’après le New York Times, sous le gouvernement Obama, les policiers américains ont ainsi reçu "plusieurs dizaines de milliers de mitrailleuses" et près de 200.000 chargeurs".

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Des critiques des vétérans. Mais posséder du matériel militaire ne suffit pas : encore faut-il savoir s’en servir et appliquer les méthodes qui vont avec. Or, pour de nombreux vétérans, les policiers armés jusqu’aux dents de Ferguson n’appliquent en rien les tactiques de l’armée. "Un bon nombre de vétérans, dont je fais partie, se feraient un plaisir d’aller à Ferguson donner quelques cours sur le contrôle des foules et la bonne façon de patrouiller", s’insurge ainsi un ancien soldat.

De son côté, le site Quartz a épluché un manuel de l’armée destiné à former les soldats confrontés à des troubles civils en mission. Il y est recommandé d’"éviter la confrontation" avec la foule, de "développer une relation avec les médias" ou encore de ne pas exhiber des armes de façon trop ostentatoire. La police intervenant à Ferguson, qui semble avoir fait tout le contraire, pourrait bien s’en inspirer. 

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