Au lendemain de l’exécution des otages syriens et de l’Américain Peter Kassig par l’organisation Etat Islamique, Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) a publié lundi soir une vidéo mettant en scène le dernier otage français au monde, Serge Lazarevic. Une concomitance qui a notamment surpris François Hollande. “Est-ce pour participer à cette espèce de montée dans l'extrême horreur, comme en Syrie ?”, s’est interrogé le chef de l’Etat mardi.
Mathieu Guidère, chercheur à l’université de Toulouse et spécialiste de la géopolitique du monde arabe, est revenu sur la diffusion quasi-simultanée de ces deux vidéos. Selon l’universitaire, cette concomitance n’a rien d’une coïncidence, et illustre la bataille de communication entre l’EI et Al-Qaïda .
L’organisation Etat islamique a diffusé dimanche la vidéo de l’exécution des otages syriens et de l’Américain Peter Kassig. Le lendemain, Aqmi publiait un enregistrement mettant en scène deux otages, dont le Français Serge Lazarevic. S’agit-il d’une coïdence ?
Il n’y a pas de coïncidence dans le milieu djihadiste. Ils s’informent constamment sur Internet, et sont très au fait du tempo médiatique. Ces deux organisations possèdent des unités médiatiques encadrées par des professionnels de la communication.
Pour Aqmi, il s’agit d’Al-Andalous, qui s’appuie notamment sur une société de production. L’organisation Etat Islamique dispose également de plusieurs unités consacrées à la veille médiatique. Ils sont très actifs sur Internet, où ils ont une longueur d’avance sur Al-Qaïda, surtout dans le recrutement des jeunes djihadistes.
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Le fait qu’Aqmi ait choisi de diffuser une vidéo mettant en scène des otages juste après les exécutions des otages syriens et de Peter Kassig est une réaction à l’organisation Etat Islamique. Ils veulent reconquir le terrain médiatique, car on entend actuellement beaucoup plus parler de l’EI que d’Al-Qaïda. Aqmi cherche à prouver qu’elle existe médiatiquement.
Al-Qaïda perd donc du terrain face à l’EI ?
Il y a en ce moment de fortes tensions au sein d’Al-Qaïda. Certaines brigades ont fait sécession et ont rejoint les rangs de l’EI. Il s’agit notamment de celle qui a enlevé puis exécuté Hervé Gourdel en Algérie. Ce groupe, qui se nommait la brigade de Thenia se fait désormais appeler “les soldats du califat en Algérie” depuis leur allégeance à l’EI. Même chose en Egypte, où le groupe terroriste Ansar Beyt al-Nosra, anciennement affilié à Al-Qaïda a fait allégeance au calife de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi. Depuis, cette brigade est devenue “Les soldats du califat en Egypte”.
Ces ralliements ont donné à l’EI une aura médiatique. Et actuellement, d’autres groupes sont tentés de faire la même chose. Même si Al-Qaïda reste la principale organisation terroriste au monde, elle subit un délitement de ses troupes.
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Comment expliquez-vous cette érosion d’Al-Qaïda au profit de l’organisation Etat islamique?
Al-Qaïda attire moins les candidats au djihad. Car elle leur propose seulement, pour résumer, de rester chez eux et de commettre des attentats en occident. Au contraire, l’EI leur propose de venir rejoindre l’organisation au sein de leur territoire pour participer à un projet politique : la construction d’un Etat. Ils ont d’ailleurs annoncé qu’ils battraient désormais leur monnaie, et ils délivrent des prototypes de passeports… C’est cette ambition politique qui convainc les djihadistes de rejoindre l’EI plutôt qu’Al-Qaïda. Pour attirer des djihadistes dans ses filets, Al-Qaïda tente donc de reconquérir le terrain médiatique.
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Entre ces deux organisations, il existe donc une forte rivalité, qui s’est d’ailleurs traduite par un bain de sang dans le nord de la Syrie, entre l’EI et Al-Qaïda au Levant, anciennement appelé "Front al-Nosra". Cet affrontement a fait plus de 3.000 morts.
Mais depuis le déclenchement des frappes aériennes, les combats se sont affaiblis. Al-Qaïda a appelé à l’unification des forces sur le terrain pour combattre les occidentaux. En revanche, sur le terrain de la communication, la bataille continue.
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