Depuis bientôt deux ans et demi, Julian Assange, invité lundi matin d'Europe1 à 7h45, n'a pas pu arpenter les rues de la ville où il habite. Cet Australien de 43 ans a trouvé refuge à l'ambassadeur d'Equateur à Londres en juin 2012 et n'a depuis jamais mis les pieds hors du bâtiment. Le fondateur de WikiLeaks y vit désormais reclus, par crainte d'être arrêté en Suède puis jugé et condamné aux Etats-Unis. Ses avocats ont fait appel mercredi dernier du mandat d'arrêt à Stockholm mais en attendant, comme depuis son enfance, Julian Assange vit en marge.
"Tom Sawyer" en Australie. Né en 1971 à Townsville, dans le nord-est de l'Australie, Julian Assange grandit dans un environnement non-conformiste, comme le raconte le long portrait publié en 2010 dans le magazine américain New Yorker. Le créateur du site qui fait trembler Washington se souvient d'une enfance à la "Tom Sawyer" : "J'avais mon propre cheval. J'ai construit mon propre radeau. J'allais pêcher. J'allais me balader dans des boyaux de mines." Le jeune Julian Assange est scolarisé à la maison, lit énormément, est rapidement attiré par la science.
Sa mère quitte son époux metteur en scène et se met en couple avec un autre homme, dont elle découvre les accointances avec une secte. La relation tourne court. La mère et son jeune fils fuient l'ex' trop pressant, changeant régulièrement de ville et d'appartement. Trente-cinq ans plus tard, Julian Assange se dit toujours persuadé que le gouvernement australien était infiltré par des sbires de cette secte, à la recherche des fuyards. Cette crainte d'être poursuivi ne le quittera jamais.
Un petit génie du hacking. Au cours de cette vie de nomades, le fils et sa mère habiteront en face d'un magasin d'informatique. C'est là que Julian Assange met pour la première fois les mains sur un clavier, celui d'un Commodore 64. Encore ado, il apprend à cracker des programmes et à retrouver des messages cachés (parfois humoristiques) par les programmateurs dans les lignes de code. Dans la communauté naissante des hackeurs des années 80, Assange se fait rapidement une réputation de jeune surdoué. Son motto : "Partager les informations" sans "détruire les réseaux dans lesquels vous vous introduisez".
Pas encore adulte, il fait sa vie dans des squats. A la naissance de son fils, alors qu'il n'a que 18 ans, Julian Assange retourne à une vie un peu plus conventionnelle, ce qui ne l'empêche pas de continuer à s'introduire dans les systèmes informatiques de grandes entreprises. La panique constante à l'idée de se faire arrêter ne le ronge pas autant que l'interminable combat judiciaire qu'il entame pour obtenir la garde de son fils. Cette bataille, qu'il perd à l'âge de 28 ans, le ravage tant que ses cheveux en perdent leur couleur brune naturelle.
L'angoisse pousse à l'extrême prudence. En 2006, il se lance dans le projet WikiLeaks de manière compulsive. Le premier gros coup de ce site internet s'intitulera Collateral Murder (meurtre collatéral, en anglais). En 2008, WikiLeaks dévoile une vidéo montrant comment l'armée américaine a abattu deux journalistes de Reuters à Bagdad un an auparavant. Depuis, le pirate Assange n'a plus de port d'attache et passe de ville en ville, de pays en pays.
Son naturel angoissé pousse Julian Assange à assurer WikiLeaks contre la moindre faille. Et pour les informaticiens, celle-ci se trouve souvent "dans l'interface chaise-clavier", à savoir l'utilisateur lui-même. Un membre de WikiLeaks expliquait au New Yorker qu'Assange lui-même n'était pas au courant de la totalité du système informatique qui constitue le site, pour le protéger. Dans une interview avec le journaliste américain Bill Maher, le fondateur du site lanceur d'alertes affirmait : "Nous ne savons pas nous-même comment nous récupérons nos informations. [...] Si vous voulez vraiment protéger vos sources, vous devez vous assurer que personne, même au sein de votre propre organisation, ne sache ce qui se passe. Vous-même êtes alors incapables de dénoncer vos sources." Cette mesure ne suffira pas à protéger Chelsea Manning, arrêté dès le mois de juin 2010. Au cours de sa longue détention, le soldat Bradley Manning annonce sa volonté de changer de sexe et devient Chelsea.
Big Brother is (really) watching you. Après Collateral Murder, Julian Assange arrive au milieu des projecteurs du monde entier avec la révélation de millions de télégrammes diplomatiques, donnés par l'ancien soldat Manning. Cette opération gigantesque donne à l'Australien une fenêtre médiatique sur son combat de toujours : les frictions entre l'individu et l'Etat, accusé d'être Big Brother.
L'homme qui s'est fait un nom sur le web fait d'ailleurs régulièrement part de son inquiétude sur les dérives qu'autorisent internet. "Aujourd'hui, tout se passe sur internet, les conversations, les communications entre personnes ou entre entreprises. Si quelque chose s'y passe mal, ça se passera mal pour toute la civilisation humaine. Pour ce qui est de la surveillance sur le web, la situation dépasse tous les rêves de la Stasi ! Le système de surveillance à travers internet est absolu et total.", disait-il dans sa précédente interview sur Europe 1.
Après les révélations des télégrammes diplomatiques, le pire cauchemar du jeune ado hacker se matérialise devant le militant quadragénaire. Pour éviter de connaître le même sort que sa taupe Chelsea Manning, Julian Assange a dû trouver refuge à l'ambassade d'Equateur à Londres. Les policiers britanniques n'attendent que de le voir sortir du bâtiment, pour l'envoyer dans un avion direction la Suède. Stockholm voudrait l'entendre sur une affaire d'agression sexuelle sur deux femmes, sans rapport apparent avec WikiLeaks. Mais après être passé dans les mains de la police suédoise, celle-ci pourrait l'extrader vers les Etats-Unis, où une "enquête sans précédent" est en cours. Près de dix ans après la création de WikiLeaks, l'Oncle Sam l'attend toujours de pied ferme.
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