Comment Mouammar Kadhafi est-il passé subitement du statut de partenaire privilégié de la France ou des Etats-Unis à celui de dictateur infréquentable ? C’est ce que le journaliste Antoine Vitkine a cherché à montrer dans son documentaire Kadhafi, notre meilleur ennemi, diffusé mardi soir sur France 5.
"Personne n’aurait parié un kopeck" sur la chute de Kadhafi "il y a deux semaines, y compris après les révolutions égyptienne et tunisienne", affirme Antoine Vitkine, invité de Wendy Bouchard sur Europe 1. Il faut dire que le chef d’Etat libyen, pourtant placé sous embargo de l’ONU en 1992, avait réussi à s’assoir à la table des grandes puissances dans les années 2000.
Lutte contre le terrorisme et pétrole
Le film, ponctué de témoignages d’acteurs de premier plan, comme Condoleeza Rice, lorsqu'elle était à la tête de la diplomatie américaine, ou Tony Blair, ex-Premier ministre britannique, revient, dans les coulisses de la realpolitik, sur 40 ans de relations entre Mouammar Kadhafi et l’Occident. Avec des images d’archives d’épisodes marquants, comme l’attentat de Lockerbie, en 1988. Un attentat dont le chef d’Etat libyen a été accusé d’être le commanditaire.
Ironie de l’histoire, c’est un autre attentat, le 11 Septembre 2001, qui contribue grandement à renforcer la bonne entente de la communauté internationale avec celui qui en est aujourd’hui mis au ban. La tragédie du World Trade Center est en effet du pain bénit pour Mouammar Kadhadi, qui fait de la lutte contre le terrorisme un des enjeux majeurs, avec le pétrole, et la coopération sur l’immigration, de ses échanges avec l’Occident.
Le dictateur libyen est même invité pour parler de l'attentat à la télévision américaine :
En décembre 2007, après la libération des infirmières bulgares, l’Elysée lui déroule le tapis rouge. L’Italie, partenaire commercial privilégié, s’excuse pour les années de colonisation en Libye, par la voix de Silvio Berlusconi, en visite à Tripoli, en décembre 2008. La Suisse s’excuse même en 2009 pour l’arrestation d’Hannibal Kadhafi, l’un des fils du dirigeant.
"Un mélange de Saddam Hussein et de Ben Laden"
"Ce qui m’a décidé à faire ce film, c’est une histoire incroyable. Ce n’est pas seulement de la realpolitik mais c’est aussi la trajectoire d’un homme qui dans les années 80 était un mélange de Saddam Hussein et de Ben Laden aujourd’hui", avant de devenir un allié de l’Occident, en une dizaine d’années, poursuit Antoine Vitkine. Pour le journaliste, c’est l’Occident qui, autour de 2003, avait remis le pied à l’étrier à Mouammar Kadhafi, alors aux abois.
Aujourd’hui, dans ses discours, le vieux dictateur continue d’agiter le spectre d’Al-Qaïda pour tenter de surfer sur les peurs des grandes puissances. Mais cette fois, celui qui est au pouvoir en Libye depuis 42 ans a, en tirant sur son peuple, franchi la ligne jaune. Il est définitivement redevenu infréquentable.