Eclipsée par les révolutions dans le monde arabe, la crise ivoirienne se poursuit dans le silence : le président sortant Laurent Gbagbo revendique toujours le pouvoir et s’accroche au palais présidentiel, tandis qu’Alassane Ouattara est toujours retranché dans l’hôtel du Golfe, bien qu’il ait remporté les élections et soit reconnu par l’ensemble de la communauté internationale.
Depuis début décembre, les négociations organisées par l’Union Africaine (UA) et la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) se multiplient, sans succès. Le calme actuel n’est que précaire, tant s’accumulent les ingrédients d’un regain de tension.
Les violences ont repris
Les violences, longtemps larvées pour cause de médiations internationales, ont repris depuis lundi. Un mystérieux “commando invisible“ a en effet revendiqué mercredi le meurtre de 10 éléments des Forces de défense et de sécurité, loyales à Laurent Gbagbo, dans le quartier abidjanais d'Abobo, pro-Ouattara. De nouveaux affrontements s’y sont déroulés mercredi, tandis que des combats entre les forces militaires des deux camps ont éclaté jeudi dans l'ouest du pays.
Ces assaut font suite à la tentative du camp Outtara de mobiliser la rue pour renverser le pouvoir, sur le modèle tunisien. Depuis samedi, au moins une dizaine de manifestants ont été tués par les forces de l’ordre qui ont dispersé la foule en tirant à balles réelles dans plusieurs quartiers de la capitale.
Négociations sans fin : “une stratégie du pourrissement“
L'UA déploie de nouveaux efforts diplomatiques pour que ces nouvelles violences, circonscrites à certains quartiers, ne s’étendent pas. Lundi et mardi, quatre présidents africains ont rencontré les deux camps pour proposer des solutions "contraignantes" d'ici au 28 février, en vain.
“Il n’y a aucune avancées : le rapport de force sur le terrain n’a pas bougé, ça n’en finit pas. Personne n’entrevoit une sortie de crise, on est dans une stratégie du pourrissement“, décrypte Vincent Darracq, chercheur invité à l’Ifri, spécialiste de l’Afrique sub-saharienne.
Pendant ce temps-là, les puissances occidentales se font très discrètes, et pour cause. “Le discours de Gbagbo consiste avant tout à faire d’une crise électorale une crise entre une ancienne colonie et les puissances occidentales. La rhétorique anticoloniale sert de légitimation“, analyse-t-il.
L’économie au bord de l’asphyxie
Face à l’intransigeance du camp Gbagbo, la communauté internationale a décrété un embargo sur le cacao, principale ressource du pays, avant de geler les flux d’argent. Depuis, l’activité économique se grippe. Signe de ce blocage, le port d’Abidjan est pratiquement déserté, témoigne un journaliste du magazine Jeune Afrique.
“Nos membres enregistrent des pertes de chiffre d’affaire de 30 à 95%, l’hôtellerie et la restauration étant les plus touchés“, confirme la Chambre de Commerce et d’Industrie française en Côte d’Ivoire (CCIFCI).
Mais le pire reste à venir, car suite aux sanctions financières internationales, “il n’est plus possible d’utiliser des chèques, de faire des virements de banque à banque. On ne peut utiliser que du cash, donc les gens attendent et dépensent moins“, poursuit la CCI, qui craint un blocage de l’économie dès la mi-mars.
Le blocage va “susciter des violences“
Mais ce blocage économique pourrait relancer le cycle des violences généralisées. “La situation va dégénérer car l’asphyxie économique et financière est en train de porter ses fruits mais elle va provoquer une longue agonie et susciter des violences“, redoute Bernard Conte, économiste politique au Centre d'étude d'Afrique noire (CEAN).
Un scénario militaire imminent que redoute aussi la rédaction de Jeune Afrique, qui rappelle que chaque camp a conservé ses armes et que les mouvements de réfugiés se multiplient aux frontières. “Cela ne concerne que les quartiers populaires“, nuance l’ambassade française en Côte d’Ivoire, où on se dit “vigilant“ mais pas alarmiste.
L’alternative fédéraliste, un retour en arrière
Seule alternative à la reprise des combats, “on pourrait envisager en dernier ressort une solution fédérale“, poursuit Bernard Conte. Chaque camp camperait alors sur sa zone d’influence, une partition synonyme de retour à la situation de 2002. D’autant que “le pouvoir ne peut pas être partagé car celui qui a le pouvoir dispose de la rente pétrolière, du café, du cacao, ce qui est essentiel dans un régime clientéliste“, détaille-t-il pour justifier le scénario d’une fédéralisation du pays.