Les yeux rivés sur Kobané, la Turquie aligne ses chars à la frontière avec la Syrie. Au coeur de la ville kurde, assiégée depuis plusieurs jours par les combattants de l’Etat islamique, résistance continue. Mais pour combien de temps ? Kobané pourrait bien tomber dans les mains djihadistes dans les jours, voire les heures à venir. La prise de la ville leur assurerait une nouvelle victoire stratégique : le contrôle d’un large pan de la frontière avec la Turquie.
Si Ankara reste encore pour le moment les bras croisés, malgré les menaces pour son propre territoire, c’est aussi parce que cet assaut de l’Etat islamique agite le problème kurde à son visage.
Ne pas aider l’ennemi. Car Kobané, troisième ville kurde, est défendue par les YPG, les Unités de protection du peuple proches du Parti des travailleurs du Kurdistan. Mal armés et retranchés dans certains quartiers, ils tentent de repousses les assauts des djihadistes dans une ville que 90% de ses habitants ont désertée.
Pour Ankara, réagir et leur venir en aide reviendrait peu ou prou à soutenir et légitimer le PKK, qu'elle considère toujours comme une organisation terroriste. Si les relations avec le parti kurde se sont apaisées ces dernières années, la guerre vieille de trente ans et ses 45.000 morts ont laissé des traces en Turquie. Malgré l’appel au cessez-le-feu lancé par Abdullah Öcalan, le chef historique du PKK, la Turquie n’est pas prête à se battre pour son ancien ennemi, même pour repousser un autre redoutable adversaire : l’Etat islamique.
Les Kurdes tentent la pression. Pourtant, les interrogations s’intensifient sur l’inaction du géant régional, à la tête d’une armée surpuissante. De tous côtés, les Kurdes poussent Ankara à réagir militairement.
Toujours détenu dans l’île-prison turque d’Imrali, Abdullah Öcalan a menacé de rompre les négociations entamées en 2012 si Kobané tombait à cause de la passivité d’Ankara. "Je demande à tous ceux, en Turquie, qui ne veulent pas que le processus de paix et la démocratie échouent, d’assumer leurs responsabilités à Kobané", a-t-il déclaré jeudi dernier. Or, comme le notait un diplomate européen, cité par Libération, "si la guerre [entre Kurdes et Turcs] est possible sans [Öcalan], la paix est impossible sans lui".
Dérapage pro-kurde. La prise de position du leader kurde semble avoir été entendue, puisque les appels à manifester du PKK et du Parti démocratique populaire, principal parti politique kurde, se sont multipliés en Turquie et ailleurs en Europe. A Van, Mardin, Ankara et Istanbul, mais aussi à Bruxelles, Paris et Berlin, des Kurdes, réfugiés ou non, ont appelé leur gouvernement à venir en aide aux combattants de Kobané.
Et ces revendications kurdes se muent doucement en colère. En Turquie, au moins 18 personnes sont mortes mardi dans des affrontements entre manifestants pro-Kurdes et leurs opposants politiques, principalement des islamistes. Une situation qui peut faire craindre un renouveau de la tension dans le Kurdistan turc. Pour la première fois depuis 1992, le gouvernement turc a imposé un couvre-feu au sud-est de son pays, où la violence n’a jamais vraiment cessé de faire partie du paysage.
A Kobané en 2014 comme à Varsovie en 1944 !par Europe1fr