Tandis que les réactions à la mort de Christophe de Margerie continuent de pleuvoir, Moscou mène une enquête sur l’accident d’avion qui a coûté la vie au dirigeant de Total, une des plus grosses entreprises du CAC40. Selon un expert de l’équipe du Bureau d’enquêtes et d’analyses arrivée mardi soir à Moscou, il faudra "trois, quatre, cinq jours", peut-être plus pour déterminer les causes de l’accident. Europe 1 vous livre tous les éléments connus du drame.
Comment est mort Christophe de Margerie ?
Dans la nuit de lundi à mardi, le jet privé du PDG de Total se crashe au décollage. Il est entré en collision avec une déneigeuse qui roulait sur la piste de l’aéroport de Vnoukovo, près de Moscou. Un témoin de l’accident, interviewé par Le Parisien, raconte avoir "vu une boule de feu dévaler la piste". Ce pilote, qui devait également décoller de cet aéroport, "pense que, sous le choc, l’aile du Falcon, remplie de kérosène, a pris feu puis l’avion s’est embrasé avant d’avoir pu décoller". Christophe de Margerie et trois membres d’équipage, également français, sont morts dans cet accident.
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Le conducteur de la déneigeuse était-il vraiment ivre ?
Après la mort du patron de la multinationale, les enquêteurs russes se sont empressés d’accuser le conducteur de la déneigeuse, qui a survécu à l’accident. "Il a été établi que le conducteur de la déneigeuse était en état d’ivresse", a indiqué le comité d’enquête dès mardi matin. Jeudi, il a été révélé que l'homme avait 0,6 grammes d'alcool par litre de sang. Si la Russie applique une tolérance zéro sur l'alcool au volant, cette concentration est 0,1 grammes/litre supérieur à ce qui est autorisé en France.
L’avocat de l’homme de 60 ans a immédiatement réfuté l'information donnant son client ivre au moment du drame. Il "ne boit jamais, cela peut être confirmé par sa famille, comme par des médecins", a-t-il affirmé auprès de l’agence de presse russe Interfax pour défendre son client. Le lendemain de cette déclaration, Alexandre Karabanov a cependant concédé que le conducteur avait éventuellement pu consommer "quelques gouttes" d’alcool.
Le conducteur de la déneigeuse a dans un premier temps été placé en garde à vue pour 48 heures, avant d'être incarcéré en détention provisoire. Des images tournées pendant son audition le montrent clairvoyant, semble-t-il. "J’ai perdu mes repères", explique-t-il, "et je ne me suis pas rendu compte que j’entrais sur la piste de décollage".
Le conducteur de l’engin raconte que "l’avion était en train de décoller". "Je ne l’ai pratiquement pas vu ou entendu parce que ma machine fonctionnait, qu’il n’y avait pas de lumière", continue le sexagénaire, qui ne précise pas s’il parle des feux de position du Falcon ou des balises lumineuses de la piste. "Il y a eu un choc", conclut-il.
Selon le témoin interrogé par Le Parisien, "cet engin n’avait rien à faire là. Lundi soir, les pistes étaient mouillées par la pluie, mais pas enneigées".
D’autres hypothèses sont-elles envisagées ?
Pour l’instant, toutes les hypothèses restent ouvertes pour expliquer cette collision, même si les autorités russes refusent de parler « d’un tragique concours de circonstances, mais plutôt d’une négligence criminelle des fonctionnaires » qui ont échoué à coordonner leur travail.
Le comité d’enquête russe envisage trois pistes, en plus de celle du pilote de la déneigeuse : "une erreur des aiguilleurs du ciel", "une erreur de pilotage" ou "les mauvaises conditions météorologiques".
Dans Le Parisien, le pilote témoin de la scène refuse cette dernière théorique : la météo était "normale pour la saison. Il faisait 1°C et il pleuvait, mais il n’y avait pas de vent ni de brouillard et la vue était dégagée sur 500 mètres".
En revanche, sur la possibilité d’une erreur des aiguilleurs, cet habitué de l’aéroport de Vnoukovo l’envisage tout à fait : "Les procédures de clearance (les autorisations de manœuvre de la tour de contrôle, ndlr.) sont brouillonnes. Il m’est arrivé d’avoir pour consigne de tourner plus d’une heure en plein hiver au-dessus de l’aéroport", raconte ce pilote.
De plus, cet homme livre un éclairage accablant. Selon lui, "les aiguilleurs parlent mal anglais" et il a eu l’impression qu’il s’agissait de personnel en formation, en entendant "des superviseurs parler derrière eux". Ce personnel aérien sera "examiné au sujet de la consommation d’alcool et de substances psychotropes", a affirmé le comité d’enquête, avant d’ajouter : "même s’il y a déjà des premiers suspects, il est évident que derrière la négligence des exécutants directs, il y a des dirigeants plus haut placés de l’aéroport". Jeudi, quatre employés de l'aéroport ont été placés en garde à vue, donc une contrôleuse aérienne qui avait encore le statut de "stagiaire". Mais son superviseur était réputé pour avoir empêché un crash d'avion en 2007, sur ce même aéroport.
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Ce connaisseur de l’aéroport de Vnoukovo livre une nouvelle hypothèse : celle d’un aéroport en mauvais état. "A Vnoukovo, rien n’est aux normes internationales", témoigne-t-il. "Le balisage et l’éclairage au sol sont défectueux", affirme le pilote, qui parle de pistes "pas planes, on ne voit qu’un tiers de la piste". Concernant les conditions de travail dans les aéroports de Russie, le quotidien Vedomosti rapporte jeudi que la compagnie aérienne russe Iamal a publié sur son site internet avant de le retirer, un communiqué où elle dénonce des "menaces répétées de collision" de ses appareils dans les aéroports de Russie depuis plusieurs années.
Les boîtes noires de l’avion ont été retrouvées. Leur analyse, débutée mercredi, devrait prendre deux à trois jours.