Pourquoi les États-Unis ont-ils espionné leurs partenaires économiques et politiques européens ? La question est posée à la suite des allégations d'écoutes de l'Union européenne par l'Agence nationale de sécurité américaine. Les agents américains de la NSA chargés des surveillances avaient en effet déployé tout l'arsenal du parfait barbouze : puces planquées dans des fax, téléphones sur écoute, noms de code énigmatiques, etc. Mais pourquoi mettre en place de tels dispositifs pour espionner des pays "amis" ? Deux experts interrogés sur Europe 1 répondent.
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Des intérêts économiques. De nos jours, les techniques d'espionnage sont généralement mises au service de la surveillance de la concurrence, donc des entreprises des pays partenaires. "Nous sommes en guerre économique. Chaque pays aujourd'hui et chaque grand entreprise dans les pays veut maintenir son chiffre d'affaires, veut maintenir son développement. Donc il est certain qu'un contrat qui est décroché par exemple par Airbus va apporter du travail et de la marge financière à toute une série de pays européens. Le même contrat repris par Boeing, c'est d'autant moins de travail et de marges pour les Européens au profit des Américains", analyse Alain Juillet, président de l'Académie de l'intelligence économique.
Ces méthodes d'espionnage permettent par exemple "connaître les positions quand on commence à discuter de projets d'accord dans le domaine commercial, ce qui est le cas aujourd'hui", précise François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique. De son côté, Alain Juillet indique d'ailleurs que ces pratiques ne sont pas nouvelles. "Il y a toujours eu des tentatives, des essais, des pratiques d'espionnage entre les pays, pour mieux comprendre ce que pense l'autre, pour préparer les négociations ou pour les mener avec un succès plus important", rapporte-t-il.
Écoutez François Heisbourg :
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Un moyen de lutter contre le terrorisme. C'est l'argument fourni dans un premier temps par Barack Obama. Mais il ne peut expliquer à lui seul l'importance des dispositifs mis en place pour écouter les différents pays de l'Union européenne. "Ce qui est nouveau, c'est que depuis le 11-Septembre, c'est-à-dire depuis le grand attentat terroriste aux Etats-Unis, les américains, sous couvert de lutte anti-terroriste à l'international, ont déployé tous leurs moyens d'interception au niveau mondial pour écouter tout ce qui pouvait être utile pour eux, en dehors de la partie terroriste", explique Alain Juillet.
Mais pour François Heisbourg, cet argumentaire de lutte contre le terrorisme est bien léger. "Ce qui aggrave cette affaire, c'est qu'Obama a expliqué à Berlin dans un grand discours, il y a une quinzaine de jours, que les révélations d'Edward Snowden n'avaient trait qu'à la lutte contre le terrorisme. Inutile de dire que les ambassades occidentales à Washington ne sont pas des nids de terroristes", commente le spécialiste.
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"Une échelle plus importante que pendant la Guerre Froide". Selon lui, ces pratiques d'espionnage massives sont surtout liées à une dérive des Etats-Unis, soucieux d'avoir le contrôle sur toutes les instances de pouvoir. "Cette question n'appelle pas de réponse simple : quel intérêt d'espionner entre 15 et 60 millions de connexion internet et téléphone en Allemagne tous les jours ? Les Américains ont trop d'argent, trop de moyens pour leur service de renseignement : quand vous avez trop d'argent, vous finissez par faire n'importe quoi, par espionner systématiquement une partie majeure de la population allemande. On est à une échelle qui est plus importante que ce qu'on avait connu pendant la Guerre Froide", indique François Heisbourg.