L'INFO. Outre-Rhin, la polémique est vive après la découverte à Munich d'un "trésor nazi" (photo ci-contre) composé de plus de 1.400 dessins, gravures et peintures dont des Picasso, Matisse ou Renoir. Les autorités allemandes sont critiquées pour avoir attendu près de deux ans pour rendre publique l'information. Et pour tenter de déterminer leur origine, un site Internet vient seulement de publier le descriptif de 25 des œuvres. "Trop peu et trop tard mais au moins c'est un pas dans la bonne direction", juge une avocate berlinoise spécialiste du marché de l'art.
Ce manque de volontarisme en rappelle un autre : en janvier dernier, la sénatrice et historienne Corinne Bouchoux dénonçait ainsi, dans une mission d’information sur les œuvres d’art spoliées par les nazis, le peu d’enclin des acteurs du monde des musées à enquêter pour établir la provenance de certaines œuvres. Aujourd'hui, elle se montre toujours aussi sévère.
En matière de restitution des oeuvres spoliées aux juifs, la France est-elle à la hauteur?
Il y a deux étapes : retrouver les œuvres puis les restituer. Pour la première étape, le résultat a été assez efficace : 60 à 70% des œuvres spoliées ont été retrouvées après la guerre. En matière de restitution, le travail est bon… mais seulement lorsque les propriétaires se manifestent. Il est clair que des connections ne se sont pas faites : on a bien listé le gardiennage des œuvres mais on ne s’est pas mis en quête de leurs propriétaires.
En 1995, la Cour des comptes a d’ailleurs bien souligné que l’administration des musées semblait avoir perdu de vue l’objectif de restitution des quelque 2.000 œuvres inventoriées sous le sigle MNR, c’est-à-dire "Musées nationaux récupération" (ce statut original créé en 1949 fait de l’Etat français le détenteur provisoire des œuvres récupérées en Allemagne, NDLR).
Outre ces "MNR", il y a aussi potentiellement un doute à lever sur toutes les œuvres qui ont été acquises après 1945 par legs, par donations, par acquisitions… et dont on n’a pas retracé l’historique. Un conservateur m’a confié que 2 à 3 % des dons faits aux collections publiques pourraient être problématiques. Un autre évalue ces œuvres à 5.000 ou 6.000.
Comment expliquer de tels chiffres ?
Tous les musées en Europe sont dans la même situation : ils doivent gérer un passé compliqué. Mais face à ce passé, tous les pays n’ont pas eu la même analyse de la situation. Dans l’ensemble, les anciens pays "spoliateurs" - comme l’Autriche ou les Pays-Bas - ont clairement affiché leur volonté d’avoir "des musées propres".
En se rangeant du côté des pays "victimes de spoliations", la France s’est longtemps dispensée d’un tel travail.
Et pourtant, vous insistez, il y a là un enjeu majeur pour la France?
Oui, la motivation première est évidemment éthique : la France se doit d’avoir "des musées propres". La restitution des œuvres spoliées aux juifs est un droit imprescriptible. Vis-à-vis de la jeunesse il y a aussi une responsabilité.
Mais il y a également une motivation secondaire, d’ordre économique : lorsqu’en 1981, Beaubourg, acquiert “Le Joueur à la guitare” de Georges Braque sans se soucier des zones d’ombre de son historique, l’Etat finit par le payer deux fois (La première fois au galeriste, la seconde aux ayants droit du collectionneur spolié par les nazis, NDLR).
La maison de ventes aux enchères Sotheby’s a ainsi bien compris qu’il était aussi de son intérêt d’éclaircir les provenances de ses ventes. Ce travail est rendu possible par l’avènement d’internet et du numérique. Sans quoi on parlerait de science-fiction.