C’est le seul pays qui fait garder espoir dans le printemps arabe, plus de trois ans après son soulèvement. Dimanche, pour la toute première fois, les Tunisiens vont choisir leurs députés et donc leur gouvernement. Doit-on s’attendre à une nouvelle Tunisie islamiste après un pouvoir de transition technocrate en place depuis le début de l’année ?
Du poil de la bête. Il y a près d’un an, la vindicte populaire jetait Ennahda loin du pouvoir. Le parti islamiste tunisien était arrivé au pouvoir en décembre 2011 pour diriger la rédaction de la Constitution, en obtenant un peu plus de 37 % des voix pour les toutes premières élections libres. Mais à l’été 2013, des manifestations monstres ont fait lâcher Ennahda, qui a fini par abandonner le pouvoir au mois d’octobre. Le discrédit est total après des assassinats d’opposants, des disputes politiques ininterrompues et une situation économique dégradée. Un an plus tard, le discours d’Ennahda a bien changé et il pourrait bien porter ses fruits : les sondages donnent le parti deuxième dans les intentions de vote, derrière la formation Nidaa Tounes, le parti de gauche.
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Edulcoré. Lors de cette campagne électorale, le parti islamiste tunisien a changé son fusil d’épaule, en modérant son propos. Rached Ghannouchi a salué "le modèle tunisien" comme "une alternative au modèle de Daech", acronyme arabe utilisé pour désigner l’Etat islamique. "Celui qui veut faire la guerre à l’extrémisme, qu’il la fasse avec modération, avec ce modèle tunisien qui réunit islam et laïcité, islam et démocratie, islam et liberté de la femme", a-t-il déclaré pour défendre le bilan très controversé de sa formation dans un entretien.
Face aux islamistes, les opposants jouent en ordre dispersé dans un scrutin où se débattront plus de 1.300 listes et quelques 13.000 candidats, pour 33 circonscriptions et 217 sièges. Ennahda a su, pour sa part, préserver son unité et reste, avec ses dizaines de milliers de militants revendiqués, le seul véritable parti de masse organisé.
Une coalition à venir. Le mouvement islamiste n’espère pas avoir la majorité absolue et prévoit de négocier et discuter avec d’autres partis dans le cas où il ravirait la première place à Nidaa Tounes. "Si nous sortons premiers, nous chercherons à mettre en place la coalition la plus large possible. Nos mains sont tendues vers tout le monde, sans exclusion aucune", déclare Houssem Eddine Taabouri, porte-parole du parti. "Si nous arrivons deuxième, nous n'avons pas de préférence pour les portefeuilles ministériels. Nous sommes dans l'optique d'un grand consensus national pendant quinze ans pour asseoir la démocratie et créer des traditions", affirme-t-il. C’est également un scénario envisagé par Khaled Abid, "Nidaa pourrait être obligé de former un gouvernement avec Ennahda. Une alliance contre-nature mais pragmatique, et qui ne durera pas forcément", estime le spécialiste de l’histoire contemporaine de la Tunisie.
Pourtant, la stratégie de dédiabolisation d’Ennahda pourrait, selon ses opposants, lui coûter certaines voix. "Si tout effondrement électoral est exclu, un effritement de ses résultats ne l'est pas", analyse Béligh Nabli, directeur de recherche àl'Institut de relations internationales et stratégiques. Ses électeurs les plus radicaux pourraient préférer d’autres formations, plus extrémistes, pour les représenter à l’Assemblée. Et peser dans le jeu politique tunisien.