Les bombes vont-elles se remettre à siffler au-dessus d'Alep ? La ville syrienne se prépare à la fin, samedi soir, de la trêve "humanitaire" mise en place à l'initiative de la Russie. Entré en vigueur jeudi matin, ce répit devait permettre d'évacuer des quartiers est civils et rebelles qui en manifestaient le souhait. De fait, ces quartiers, tenus par l'opposition au régime syrien, sont la cible, depuis le 22 septembre, de bombardements intensifs orchestrés par Damas et Moscou. Or, 250.000 personnes y vivent toujours.
Une trêve pour rien ? Force est cependant de constater que mettre en place huit corridors humanitaires pour évacuer la population n'a servi à rien. "Jusqu'à maintenant, personne n'est sorti par les couloirs", a confirmé à l'AFP le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), Rami Abdel Rahmane. Vendredi soir, le général Sergueï Roudskoï, haut responsable de l'état-major russe, indiquait quant à lui que seuls huit rebelles blessés et sept civils avaient été évacués en empruntant les corridors humanitaires pendant la trêve.
Moscou accuse les rebelles de "menaces". Et c'est bien la seule question sur laquelle la Russie, le régime syrien, les ONG et l'ONU sont d'accord. Car les causes de cet échec, elles, diffèrent selon les interlocuteurs. Pour Moscou et Damas en effet, si les corridors n'ont pas été empruntés, c'est parce que les rebelles empêchent toute personne de quitter le secteur. Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, a ainsi assuré que les combattants de l'opposition avaient recours "aux menaces, au chantage et à la force brute" pour bloquer les couloirs.
" Des comités populaires civils venant des quartiers du régime sont entrés dans les quartiers est pour tenter d'évacuer des blessés, mais ils n'ont pas réussi. "
L'ONU dénonce l'insécurité. De son côté, l'ONU avance une autre explication. Alors qu'elle avait prévu d'évacuer des blessés, elle a été contrainte de reporter ses opérations car les "assurances concernant les conditions de sécurité" n'ont pas été remplies. "Des comités populaires civils venant des quartiers du régime sont entrés dans les quartiers est pour tenter d'évacuer des blessés, mais ils n'ont pas réussi", a également constaté Rami Abdel Rahmane de l'OSDH. La population se montrait d'ailleurs très sceptique à l'annonce de la pause humanitaire. "Même si j'ai besoin de sortir d'ici, à cause de la détérioration des conditions de vie avec le siège et le manque de nourriture et de travail, je ne vais pas risquer ma vie et celle de ma famille et être le premier à emprunter ces passages", expliquait ainsi Mohamed Shayah, père de quatre enfants. L'ONU a demandé à la Russie de prolonger la trêve jusqu'à lundi soir, une requête restée pour le moment sans réponse.
Manœuvre russe ? Pour certains spécialistes, cette trêve n'était en réalité pas destinée à sauver des civils, mais bien à faciliter l'intervention armée de la Russie. "Dans son traitement de la crise, Poutine n'a aucune exigence humanitaire", explique ainsi François Burgat, politologue et directeur de recherche à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman à Aix-en-Provence, dans un entretien à L'Obs. "Tout ce que souhaite la Russie, c'est une démilitarisation de la résistance à Alep pour parachever sa victoire." Selon lui, cette pause n'aurait donc été destinée qu'à séparer les civils des rebelles, afin de pouvoir éventuellement redoubler d'intensité dans les bombardements sans être accusé de crimes de guerre.
" Dans son traitement de la crise, Poutine n'a aucune exigence humanitaire "
Une possible reprise des bombardements. De fait, la trêve a été proposée par Moscou alors que le régime de Poutine était pointé du doigt par les Occidentaux, France comprise, pour des frappes aériennes sur la population et les infrastructures civiles, notamment des hôpitaux. Ces bombardements ont fait environ 500 morts et 2.000 blessés, selon l'ONU. Le risque, désormais, est que la fin de la trêve signe une reprise plus intensive encore des combats. "Le régime et les rebelles ont chacun renforcé leurs effectifs militaires, ce qui nous fait craindre, en cas d'un échec du cessez-le-feu, une vaste opération militaire", a prévenu Rami Abdel Rahmane. Alep n'a visiblement pas fini d'être, comme le disent plusieurs ONG, un "enfer sur terre".