Un nouveau cycle de violences s’est enclenché entre Israël et le mouvement islamiste du Hamas. Le conflit couve depuis des décennies mais le jeu des extrêmes inquiète la communauté internationale. Des milliers de roquettes ont été envoyées sur Israël par le Hamas, auxquelles l’armée israélienne a répondu par des bombardements incessants sur l’enclave de Gaza. Plus d’une centaine de victimes ont été dénombrées depuis lundi.
Pour comprendre cette crise, il faut revenir à l'étincelle qui a tout embrasé : l’expulsion prévue de plusieurs familles palestiniennes de leurs maisons situées à Cheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est. Au cours des dernières semaines, des heurts ont éclaté, notamment sur l’Esplanade des Mosquées, entre les Palestiniens qui manifestaient leur soutien et la police israélienne. Le 10 mai, le Hamas a répondu à ces violences par une première salve de tirs de roquettes vers Israël.
Un quartier où s'imbriquent maisons palestiniennes et juives
En 1956, l’agence de l’Onu pour les réfugiés établit 28 familles palestiniennes à Cheikh Jarrah. Mais la Jordanie, alors souveraine à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, ne leur a jamais fourni d’actes de propriété en bonne et due forme. Depuis les années 1970, des mouvements extrémistes de colons israéliens s’engouffrent dans cette brèche.
" On restera vivre ici. Contre les colons, contre leur volonté. "
Abel Fattah Skafi avait six ans lorsque son père a emménagé dans une maison de Cheikh Jarrah. Il en a 71 aujourd’hui et il vit ici avec ses enfants et ses petits-enfants, comme en témoignent les photos qui couvrent ses murs. Le vieil homme, désormais menacé d’expulsion, se dit à la fois anxieux et optimiste. "On restera vivre ici, je l’espère, les enfants aussi. C’est la chose la plus difficile : imaginer devoir partir. La plus difficile !", confie-t-il à Europe 1. "Mais je n’ai pas peur, au fond je sens qu’on va rester…. Contre eux, contre leur volonté", veut croire Abel Fattah Skafi.
"Eux", ce sont les colons. Ils ferraillent en justice pour faire expulser les familles palestiniennes. Les premiers sont arrivés en 2008. Aujourd’hui les maisons du quartier sont totalement imbriquées. Abel Fatah Skafi nous conduit dans les ruelles étroites construites sur cette colline. Les fenêtres et les portes des colons donnent parfois directement dans les cours palestiniennes.
"Là c’est la famille Sabagh, et juste-là, c’est une famille de colons", énumère notre guide. "On a commencé à être harcelés. Ils nous insultent, ils jettent des poubelles chez nous, ils essayent de nous fatiguer. Ils ont lancé l’opération 'épuisons-les !'", assure-t-il. "Certains de nos enfants ne veulent plus aller à l’école de peur de trouver la maison confisquée au retour."
"Il faut qu’ils comprennent que c’est un État juif"
Dans la rue principale, les colons ont installé une étoile de David lumineuse sur le toit d’une de leurs maisons. Les voisins musulmans ont répondu avec un croissant vert. Pour Eden Levy, jeune colon arrivé il y a trois ans, les Palestiniens doivent plier bagages, point final. "Certains peuvent rester, mais pas tous… Que les autres retournent en Jordanie, ils viennent de là", soutient-il. "Il faut qu’ils comprennent que c’est un État juif et donc en se pliant à la loi juive, ils peuvent rester."
Il a été proposé aux familles palestiniennes, soit environ 70 personnes, de rester plus longtemps à condition de reconnaitre que les maisons ne leur appartiennent pas. Une solution inenvisageable pour ces habitants qui ont fait appel devant la cour suprême israélienne.
Une bataille législative et politique
Pour Jean-Paul Chagnollaud, professeur de sciences politiques et président de l’Institut de recherche et d'études Méditerranée Moyen-Orient, le quartier de Cheikh Jarrah, même s’il concerne finalement assez peu de Palestiniens, illustre un conflit emblématique de la construction d’Israël. On y retrouve cette volonté de "judaïser la ville", en livrant une véritable bataille démographique, territoriale et législative. "Mais il y a une asymétrie dans la loi. C’est le droit israélien qui s’applique à Jérusalem-Est, qui a été unilatéralement annexée en 1980. La législation est donc celle de la puissance occupante et le droit dit ce que veulent les dirigeants politiques", pointe-t-il auprès d’Europe 1.
En l’occurrence, la loi autorise les Juifs qui peuvent prouver que des membres de leur famille vivaient déjà à Jérusalem-Est avant la guerre israélo-arabe de 1948-1949 – une petite communauté juive s’étant fixée dans ce quartier au 19e siècle – à récupérer les propriétés concernées. "Cette loi est contraire au droit international", selon Jean-Paul Chagnollaud.
De la bataille pour la terre au conflit armé : "Le Hamas et Netanyahou se servent l’un l’autre"
À ce conflit territorial, se superposent les ambitions politiques de chaque camp. "Le Hamas a détourné le problème pour revenir en force sur la scène politique palestinienne, complétement vidée aujourd’hui", observe encore Jean-Paul Chagnollaud, puisque les élections prévues le 22 mai prochain – les premières en quinze ans - ont été reportées fin avril par le président Mahmoud Abbas, invoquant des raisons de sécurité.
"De son côté, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, qui était très marginalisé, retrouve un rôle important, un peu central, ce qui rebat les cartes au sein du champ politique israélien. Finalement, le Hamas et Netanyahou se servent l’un l’autre dans une tragédie dont beaucoup vont souffrir", conclut Jean-Paul Chagnollaud.