Les JO de l'ère moderne ont souvent été au centre d'enjeux diplomatiques, et ceux de Pyeongchang, qui s'ouvrent le 9 février, en sont l'illustration. Alors que les communications entre Corée du Sud et Corée du Nord étaient rompues depuis plus de deux ans, les deux nations mettront leur rivalité de côté et défileront même ensemble, sous le drapeau unifié, lors de la cérémonie d'ouverture. Les Etats-Unis, alliés de Séoul et auteurs de menaces vives et répétées au régime de Pyongyang, joueront assurément un rôle particulier.
Des insultes au dialogue. Qui aurait pu croire à un tel revirement ? Il y a encore très peu de temps, les tensions sur la péninsule coréenne atteignaient des sommets, alors que Pyongyang menait avec régularité toute une série d'essais militaires, y compris des tirs de missiles balistiques intercontinentaux, censés avoir mis à sa portée le territoire continental américain. Dans ce contexte, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un et le président américain Donald Trump se sont lancés dans une joute verbale où toutes les limites diplomatiques ont été franchies, échanges d'insultes personnelles et menaces apocalyptiques incluses.
Un accord inespéré. Pendant des mois, Pyongyang a boudé les appels répétés de Séoul à participer aux JO d'hiver, laissant filer les dates limites pour l'enregistrement des athlètes. Puis soudain, au nouvel An, Kim Jong-Un a, contre toute attente, annoncé qu'il était prêt à envoyer ses sportifs au Sud, déclenchant un intense processus diplomatique. Pyongyang a accepté de dépêcher chez son rival une délégation composée, outre des sportifs, de pom-pom girls, d'artistes et de cadres divers. Ensemble, les deux Corées ont fini par se mettre d'accord sur un défilé commun lors de la cérémonie d'ouverture, et de la formation d'une seule et même équipe coréenne de hockey sur glace féminine. Inespéré.
La "stratégie diplomatique par le sport". Pourquoi un tel basculement ? Pour le géographe Maxime Desirat, spécialiste de la géopolitique du sport, interrogé par Radio Canada, il s'agit purement et simplement d'une "stratégie diplomatique par le sport". Ce n'est pas rare dans l'histoire de l'olympisme. Pour rappel, en 1976, les Jeux d'été de Montréal étaient boycottés par 22 pays africains, qui protestaient contre la présence de la Nouvelle-Zélande aux JO, alors qu'une équipe de rugby de ce pays était partie en tournée quelques mois plus tôt en Afrique du Sud, où régnait alors l'apartheid. Là, le régime de Pyongyang voit "un potentiel d'images énorme pour l'État, qui se sert avant tout du sport comme un outil de projection de l'image du régime, comme une vitrine", précise Maxime Desirat.
Une participation qui divise. Mais ce signe d'apaisement n'a pas fait l'unanimité. Au contraire, il a même suscité un fort scepticisme, en Corée comme aux Etats-Unis, fervents alliés de Séoul. Les opposants sud-coréens au gouvernement l'accusent d'avoir fait trop de concessions au Nord et ce faisant, d'avoir privé certains de ses propres athlètes du rêve olympique. À Washington, la nouvelle de la participation de la Corée du Nord aux Jeux olympiques a fait grincer des dents. Le (très en vue) sénateur républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, s'est même montré menaçant en tweetant le 1er janvier : "Autoriser la Corée du Nord de Kim Jong-un à participer aux Jeux d'hiver reviendrait à légitimer le régime le moins légitime de la planète. Je suis confiant dans la décision de la Corée du Sud de rejeter cette offre absurde, et j'ai l’intime conviction que si la Corée du Nord se rend au Jeux, nous n'irons pas".
Finalement, Donald Trump lui-même a mis son habituelle virulence dans sa poche pour faire savoir qu'il croyait toujours à la reprise d'un dialogue constructif avec le leader nord-coréen. Début janvier, le président américain affirmait même : "Je veux vraiment que cela marche entre les deux pays, j'aimerais les voir participer aux Jeux olympiques et les choses pourraient peut-être continuer à partir de là." Faut-il y voir la naissance d'un nouvel espoir ?
Un précédent en demi-teinte. En 1988, lors des Jeux de Séoul, la Corée du Nord avait boycotté la compétition, après avoir réclamé en vain une organisation conjointe avec la Corée du Sud. Les discussions entre les deux pays avaient repris, et lors des quatre Jeux olympiques d'été suivants (Sydney en 2000, Salt Lake City en 2002, Atlanta en 2004 et Turin en 2006), les athlètes nord et sud-coréens avaient défilé ensemble lors de la cérémonie d'ouverture, vêtus de la même tenue. Un symbole fort… mais qui n'avait pas été reconduit pour les Jeux de Pékin en 2008. La diplomatie par le sport ne peut pas tout.
Quid de la Russie ?
Une chose est sûre : le 9 février, le drapeau blanc orné de l'effigie bleu pâle de la péninsule coréenne flottera donc à Pyeongchang. On ne peut pas en dire autant du drapeau russe, qui sera absent pour la première fois de l'histoire, englué dans un scandale de dopage sans précédent, même si l'annulation totale par le TAS des sanctions à l'encontre de 28 sportifs russes a bousculé la donne, jeudi. "En théorie, certains des 28 sportifs dont la suspension à vie a été levée peuvent prétendre à une participation aux JO de Pyeongchang. Leur participation devra au préalable être soumise à un panel du CIO", a en effet précisé un porte-parole du TAS. Et même si le CIO s'est montré inflexible sur le fait que ces sportifs n'iraient pas en Corée du Sud, la semaine à venir peut désormais offrir bien des surprises.