"Le jour le plus sombre de la présidence Trump", comme l'affirme le Wall Street Journal ? Ou un "mauvais jour" tout court, comme l'estime Alan Dershowitz, professeur émérite de droit à Harvard sur FoxNews? Mardi, le président américain a en tout cas essuyé un double revers judiciaire. A New York, devant un juge fédéral de Manhattan, Michael Cohen, son ex-avocat personnel, a plaidé coupable de huit chefs d'accusation, notamment pour fraude fiscale et bancaire, et a reconnu sous serment avoir versé 130.000 et 150.000 dollars à deux femmes affirmant avoir eu une liaison avec Donald Trump en échange de leur silence, et ce "à la demande du candidat" et "avec l'intention d'influencer l'élection".
Ce même jour, le tribunal d'Alexandria, près de Washington, a reconnu Paul Manafort, un ancien directeur de campagne de Donald Trump, coupable de fraude bancaire et fiscale. Une condamnation symbolique, car il s'agissait du premier procès émanant de l'enquête russe, cette tentaculaire investigation conduite par le procureur spécial Robert Mueller sur l'ingérence de la Russie dans la présidentielle de 2016 et sur des soupçons de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et le Kremlin de Vladimir Poutine.
Deux coups durs pour le président américain donc. Pour autant, est-ce suffisant pour mettre le Commander in chief K.O. ? Corentin Sellin, professeur agrégé d'histoire, spécialiste de la politique américaine et co-auteur des Etats-Unis et le Monde, de Monroe à la création de l'ONU, nous éclaire.
Donald Trump peut-il être poursuivi ?
Mardi, Michel Cohen a reconnu sous serment avoir payé deux femmes à la demande du candidat de Donald Trump avec l'intention d'influencer l'élection. Il estime ainsi que Donald Trump est son 'co-conspirateur' et qu'il a commis avec lui des crimes fédéraux.
En théorie, le procureur fédéral de Manhattan pourrait alors poursuivre le président car contrairement à la France, un président des Etats Unis n'a pas d'immunité judiciaire constitutionnelle. Sauf que le ministère de la Justice américain a publié deux mémos il y a plusieurs années, qui font office de règlement interne, expliquant qu'un procureur fédéral ne devait pas poursuivre un président en fonction. D'abord car cela nuirait à l'exercice de ses fonctions constitutionnelles, mais aussi parce que la constitution américaine prévoit que si un président doit être poursuivi, c'est par la procédure politique de l'impeachment.
Cette procédure d'impeachment (destitution) peut-elle être enclenchée ?
Il y aurait matière à impeachment car Michael Cohen accuse Donald Trump d'avoir cherché à influencer le résultat des élections en recourant à des moyens illégaux. Ce qui est suffisamment grave pour déclencher une telle procédure. Mais pour que cela se produise, il faut que l'impeachment, c'est à dire l'acte d'accusation, soit voté par la Chambre des représentants (l'équivalent des députés) puis dans un deuxième temps que le Sénat juge le président coupable des actes d'impeachment.
En deux siècles et demi, aucun président des Etats-Unis n'a jamais été destitué. En 1974, après le Watergate, Nixon avait préféré démissionner plutôt que d'être jugé coupable via cette procédure. La possibilité, dans le cas de Donald Trump, d'un impeachment est égale à zéro."
Ces affaires peuvent-elles nuire à Donald Trump pour les élections de mi mandat de novembre ?
C'est possible, mais on ne peut présager de rien. Steve Bannon, l'ancien gourou national identitaire de Donald Trump, estime désormais que ces élections de mi mandat vont se transformer en référendum "pour ou contre l'impeachment". Il est évident que si les démocrates reprennent la Chambre des représentants (actuellement à majorité républicaine NDRL), la première chose qu'ils feront sera d'essayer de voter une procédure d'impeachment contre Trump. Ce qui pourrait alors être beaucoup plus tendu pour le président.
Cela pourrait aussi inciter encore plus les anti-Trump à se mobiliser dans ces élections. Mais cela ne veut pas dire pour autant que la base de l'électorat de Trump - populaire, blanche et religieuse - ira voter démocrate. 2016 nous a appris la prudence. Dans l'état actuel des choses, c'est peu probable que sa base, qui s'informe sur Twitter et FoxNews, ne se détourne du président.
A court terme, l'affaire qui embarrasse le plus Donald Trump ne serait-elle pas la condamnation de Paul Manafort, son ancien directeur de campagne ?
Paul Manafort a été reconnu coupable de fraude bancaire et fiscale et il risque des dizaines d'années de prison. Cela n'a pas à voir directement avec le président américain mais c'est une victoire pour le procureur spécial Robert Mueller qui enquête sur l'ingérence de la Russie dans la présidentielle de 2016 et sur des soupçons de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et le Kremlin de Vladimir Poutine.
Or cela fait plus de six mois, depuis que le procureur a commencé à inculper des Russes pour avoir mené des actions de déstabilisation électorale sur Twitter, que Donald Trump cogne sur Robert Mueller. Son argument central est de dire que l'enquête est à charge, qu'il n'y a aucune réalité, que c'est du vent.
Sauf qu'un jury populaire, c'est à dire des citoyens américains, vient de reconnaître la culpabilité de Paul Manafort et donc la légitimité de cette enquête. Donald Trump ne peut ainsi plus continuer à dire qu'il s'agit d'un complot des juges. En effet, on peut difficilement imaginer que des jurés soient impliqués dans une telle conspiration. Donald Trump perd un argument de poids. Il pourra beaucoup plus difficilement présenter l'enquête comme biaisée. La marge de Trump pour déligitimer le procureur est beaucoup plus limitée.
L'autre problème de Donald Trump est de savoir ce que va désormais faire Paul Manafort...
Il a deux options s'il veut éviter de passer des dizaines d'années derrière les barreaux. Il peut passer un accord avec Donald Trump, afin que celui ci le "pardonne" (l'équivalent d'une grâce en France). Ou il peut signer un accord de coopération avec le procureur Robert Mueller et le FBI, quin en échange d'informations sensibles sur une collusion entre Donald Trump et les Russes, pourraient réduire sa peine de prison.
Si Donald trump venait sur un coup de tête à pardonner Paul Manafort, il pourrait être totalement discrédité électoralement et symboliquement. C'est d'ailleurs ce qui s'était passé en 1974 quand Gérald Ford alors au pouvoir avait pardonné Richard Nixon après l'affaire du Watergate.
Pour autant, l'autre option n'est pas plus à l'avantage du président américain. Si l'ancien directeur de campagne livrait des informations prouvant la collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et le Kremlin, cela pourrait signer la fin de la partie pour lui.