La procédure a duré près de deux ans, mais la cour régionale de Coblence a pris de vitesse les juges norvégiens, suédois, hollandais, autrichiens, hongrois, suisses… Partout en Europe, des magistrats veulent juger des Syriens pour des crimes commis en Syrie contre d’autres Syriens. C’est la compétence universelle, la version judiciaire du droit d’ingérence. Peut-être que l’Europe ne se pardonne pas d’avoir laissé la révolution syrienne échouer. Sans doute que l’Allemagne est la plus motivée pour condamner les bourreaux. L’Allemagne répète fièrement que ce procès est historique, le premier au monde des crimes du régime syrien.
Cela dit, Coblence n’est pas Nuremberg, Anwar Raslan n’est ni un ministre du régime alaouite, ni un cousin lointain de Bachar El Assad, juste un officier supérieur, un rouage de la machine policière, un colonel du renseignement qui a déserté en 2012, un an après le début de la guerre civile. Il avait été accueilli à bras ouvert par les exilés. Il a même participé à des pourparlers de paix à Genève. Mais le repenti était douteux : il a fini par débarquer en Allemagne, au milieu du flot des migrants en 2015.
Reconnu par d’anciennes victimes
Il a aussi été trop bavard avec la police allemande quand il a réclamé le statut de réfugié. Il devait se croire entre collègues. Tout ce qu’il leur a dit a été retenu contre lui. Pendant le procès, en revanche, il s’est contenté d’une déclaration écrite lue par ses avocats où il minimise son rôle et raconte avoir tout fait pour sauver des prisonniers. Il n’a pas convaincu. C’était joué d’avance. Il est condamné pour 27 meurtres et des milliers de cas de torture dans le centre de détention secret d’Al Khotib, car il était responsable de la section des investigations.
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Autrement dit des interrogatoires. Autrement dit et même s’il ne s’est pas sali les mains, responsables des passages à tabac, des électrochocs, des coups de pieds, des coups de câble, des sévices sexuels, tout ce qui fait l’ordinaire de la police secrète syrienne. Et aussi par extension, responsable de l’empilement de 4.000 détenus dans des cellules surpeuplées au deuxième sous-sol, où ils vivaient dans le désespoir, l’odeur de sang, affamés, asphyxiés. La Cour considère que ces conditions de détention équivalent à de la torture, Anwar Raslan doit rendre des comptes pour chacun de ces prisonniers qui sont autant de victimes.
Une victoire dans la lutte contre l’impunité
La cour a chargé la barque, mais elle a été saisie par les témoignages des rescapés, par les photos des cadavres suppliciés prises par le fameux César, le photographe militaire qui a livré 50.000 clichés de l’enfer. Car c’est cela, la machine de répression syrienne. Une machinerie terroriste. Une terreur d’État. Un tyran qui tient par la torture, le meurtre en prison, les disparitions forcées et la peur généralisée.
C’est une justice nécessaire aux survivants. Elle les ramène sur terre. Tant mieux. Mais c’est aussi une façon pour l’Europe de s’admirer avec les mains propres, alors qu’elle ne veut plus rien en savoir. Ni qui sont les méchants, ni même s’il y a des bons. Avant-hier, trois soldats syriens et cinq paramilitaires ont été tués atrocement par les djihadistes. Et hier, les bombardiers russes ont liquidé onze membres de Daech piégés dans les grottes du désert de Deir ez-Zor. La sale guerre continue en Syrie, loin de Coblence.