Trois petits mois de répit, avant de replonger dans l'incertitude. L'Allemagne pourrait vivre une nouvelle crise politique susceptible de mettre fin au gouvernement de coalition difficilement constitué, fin mars, à l'issue d'interminables semaines de négociations. Cette fois-ci, point de crispations entre la CDU au pouvoir et les socialistes du SPD : c'est un profond désaccord sur l'immigration entre le parti d'Angela Merkel et son allié berlinois de la CSU qui est à la source des difficultés actuelles que traverse la chancelière. Et qui pourraient avoir raison de son poste, treize ans après son arrivée au pouvoir.
Pourquoi la CDU de Merkel et ses alliés de la CSU s'opposent-ils ?
Lundi, le ministre allemand de l'Intérieur, le très conservateur Horst Seehofer (CSU), a prévenu qu'il sera prêt "en juillet" à "refouler immédiatement" les migrants arrivant aux frontières allemandes en provenance d'un autre pays européen, si la chancelière ne parvient pas à une autre solution à l'occasion d'un sommet de l'Union européenne prévu les 28 et 29 juin.
" Avec ses propositions, le ministre de l'Intérieur tente le tout pour le tout "
"Horst Seehofer a lâché la tête du parti pour devenir ministre et depuis, il incarne une ligne très à droite qui ne le fait pourtant pas monter dans les sondages", explique Hélène Kohl, correspondante d'Europe 1 en Allemagne. "Avec ses propositions, il tente le tout pour le tout" et veut convaincre la chancelière de durcir sa politique migratoire, alors que l'épisode de l'Aquarius a montré que les pays européens se déchiraient sur cette question.
Comment Merkel tente-t-elle de s'en sortir ?
De son côté, Angela Merkel a promis de tout faire pour trouver d'ici à début juillet des accords bilatéraux et européens sur cette question, mais elle a rejeté l'ultimatum de son ministre, assurant qu'il n'y aura aucune fermeture "automatique" aux demandeurs d'asile. Première étape, lundi soir, avec son homologue italien Giuseppe Conte, alors que les deux dirigeants ont des positions opposées sur l'immigration.
Mardi, c'est une autre journée cruciale qui attend Angela Merkel avec un conseil franco-allemand. L'immigration sera l'un des sujets les plus brûlants de la journée, et Berlin tentera de glaner le précieux soutien de Paris en vue du sommet de l'UE des 28 et 29 juin. "Emmanuel Macron pourrait profiter de la position affaiblie d'Angela Merkel pour demander l'appui de l'Allemagne sur ses réformes de la zone euro ou l'Europe de la défense", observe Hélène Kohl. Un sommet préparatoire sur l'immigration se tiendrait également à Berlin, ce week-end.
Et si Merkel n'obtient pas de concessions des autres pays de l'UE sur l'immigration ?
"Pour l'heure, c'est le soulagement à Berlin car Angela Merkel a obtenu un délai de 15 jours pour tenter d'arracher un compromis. Mais pour elle, le risque d'échec est fort car d'un côté, des pays comme l'Italie ou la Grèce ne vont pas lui faire de cadeau sur l'immigration. De l'autre, elle subit une grosse pression de la droite et de l'extrême droite pour obtenir un accord très avantageux pour l'Allemagne. Elle est prise en tenaille", résume Hélène Kohl. Sur la corde raide, Angela Merkel joue là sa dernière "manche", pour l'hebdomadaire Der Spiegel.
Merkels Endspiel https://t.co/vyPxb2rdSA
— DER SPIEGEL (@DerSPIEGEL) 17 juin 2018
Les députés n’excluent pas de poser la question de confiance à la chancelière si celle-ci ne réussit pas à ramener un accord bénéfique pour l'Allemagne, début juillet. Et elle pourrait tout à fait décider de quitter le pouvoir, lasse des attaques de plus en plus franches assénées depuis sa droite.
" Même très affaiblie, Angela Merkel garde la main sur la situation "
Reste que "même très affaiblie, elle garde la main sur la situation : c'est elle qui a le dernier mot sur la politique migratoire, la CDU fait bloc derrière elle tandis que le SPD la soutient et ne veut pas de nouvelles élections", observe Hélène Kohl. En cas de départ de la CSU de la coalition et d'un vote de défiance, elle pourrait aussi compter sur le soutien nouveau des Verts, jusqu'alors opposés à l'idée de gouverner avec les conservateurs de la CSU.
Qu'en pensent les Allemands ?
Depuis 2015 et la régularisation d'un million de réfugiés par l'Allemagne, Angela Merkel se voit reprocher de mener une politique migratoire trop laxiste, notamment par l'extrême droite. Plusieurs faits divers récents ont cristallisé ces critiques, comme le viol et le meurtre d'une adolescente allemande qu'aurait perpétrés un demandeur d'asile irakien.
Lundi, le procès d'un Afghan soupçonné d'avoir tué sa petite amie âgée de 15 ans s'est ouvert à Kandel. Depuis les faits, en décembre, cette petite ville de l'ouest du pays est devenue le foyer de militants anti-islam, qui n'hésitent pas à rendre Angela Merkel responsable de ce meurtre. Mais cette position de fermeté à l'égard de l'immigration n'est pas que l'apanage d'une partie du pays favorable aux thèses du parti d'extrême droite Alternativ für Deutschland (AfD) : selon un sondage, 86% des Allemands veulent une accélération des expulsions d'étrangers et 62% des personnes interrogées considèrent que les étrangers sans papiers arrivant aux frontières de l'Allemagne doivent être refoulés.