Deux pays, l’Italie et Malte, qui refusent d’accueillir un bateau chargé de 629 migrants, en invoquant leur droit à le faire… L’affaire de l’Aquarius tourne à l’imbroglio juridique. Ce bras de fer soulève des questions sur les obligations d'un gouvernement face à des personnes secourues en mer. Et met surtout en lumière le flou qui existe en la matière.
Quelles sont les règles en vigueur ?
C’est là tout le nœud du problème. D'après le Haut-Commissariat de l'ONU aux réfugiés, "le droit maritime international ne fournit pas d'obligations spécifiques qui détermineraient dans tous les cas quel Etat est en charge d'autoriser le débarquement sur son sol". Cela ne signifie pas pour autant qu’un pays peut simplement brandir un signal d'interdiction et se désintéresser du sort d’un navire par la suite.
Le HCR souligne également que des "traités clés" stipulent qu'une nation "responsable d'une zone de recherche et de sauvetage où se déroule un sauvetage est tenue d'exercer 'la responsabilité primaire'" de coordonner un débarquement en toute sécurité. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) relève également que même si les Etats ne sont pas forcés d'accepter de tels navires, il y a une obligation collective à trouver une solution humaine.
"En ce qui concerne le débarquement, les Etats sont obligés de coopérer afin de trouver une place sûre pour débarquer les migrants secourus dans leur zone de recherche et de sauvetage", explique par ailleurs le porte-parole de l'OIM Leonard Doyle, citant des experts juridiques.
Que se passe-t-il en cas d’urgence humanitaire ?
Là encore, le flou persiste, mais selon certains observateurs, une situation de détresse pourrait contraindre un Etat à donner accès à ses ports. "Si le pays exerce un contrôle sur le bateau et s'il y a à bord des migrants en détresse et qu'aucun accord n'a pu être trouvé avec un autre pays pour les accueillir, il ne devrait pas tergiverser mais les accepter", a indiqué Leonard Doyle. Dans le cas de l'Aquarius, le navire affrété par l'ONG française SOS Méditerranée, le HCR a affirmé que le manque de nourriture à bord créait "un impératif humanitaire urgent" pour l'Italie et Malte de laisser le bateau accoster.
Emmanuel Macron n’a pas dit autre chose en Conseil des ministres. Selon Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, le chef de l'État "a tenu à rappeler le droit maritime" qui indique "qu'en cas de détresse, ce soit la côte la plus proche qui assume la responsabilité de l'accueil". "Si un bateau avait la France pour rive la plus proche, il pourrait accoster" en France car "c'est le respect du droit international", a ajouté le président, tout en saluant le courage de l'Espagne qui va accueillir le bateau, toujours selon le porte-parole.
Qui a la responsabilité des migrants arrivés sur le sol européen ?
Le ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini, qui est aussi le patron de la Ligue (extrême droite), a justifié le refus de Rome de laisser entrer l'Aquarius en affirmant que le nouveau gouvernement populiste ne pouvait pas être contraint à transformer "l'Italie en un gigantesque camp de réfugiés".
Mais le HCR rappelle que même si un pays laisse accoster un navire, cela ne signifie pas qu'il assume la responsabilité à long terme des migrants. "Un Etat qui autorise le débarquement sur son territoire de personnes secourues, ne doit pas, du point de vue du HCR, être seul responsable de fournir des solutions durables sur son propre sol", précise l'agence de l'ONU.
Sauf que les pays membres de l’Union européenne ont signé - accompagné de la Suisse, de l’Islande, de la Norvège et du Liechtenstein - en 2013 le "règlement de Dublin" ou "Dublin III", un accord qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli. En clair, si l’Italie avait autorisé l’Aquarius à accoster dans un de ses ports, les 29 migrants à son bord n’auraient pu faire une demande d’asile que dans ce pays.
Pourquoi l’Italie refuse-t-elle qu’un bateau accoste dans un de ses ports ?
Ce "règlement de Dublin", le nouveau gouvernement italien, composé des populistes du Mouvement 5 étoiles et des extrémistes de la Ligue, le conteste. La question sera au menu d’un déjeuner prévu vendredi à l’Elysée entre Emmanuel Macron et Giuseppe Conte, le nouveau président du Conseil italien. "J'ai exprimé la totale insatisfaction de l'Italie sur les propositions discutées actuellement pour réformer le règlement de Dublin, l'Italie a été laissée seule sur ce dossier. Nous devons avoir cette réforme", a déjà prévenu le chef du gouvernement transalpin.
Or, Emmanuel Macron, comme la plupart des autres pays de l’UE, ne veut pas entendre parler de cette réforme. La tension risque donc de monter dans les prochains jours entre l’Italie et ses partenaires européens. Et de nouvelles affaires Aquarius pourraient voir le jour.