La Thaïlande est devenue la base arrière de la résistance birmane. Alors que depuis le coup d'État du 1er février, lors duquel la junte a pris le pouvoir en Birmanie et écarté le gouvernement civil, les contestataires doivent faire face au durcissement de la répression par l’armée, qui tire désormais à balles réelles sur son peuple. Selon les ONG, on dénombre au moins 600 morts, dont une cinquantaine d’enfants, ainsi que des milliers d’arrestations. Des frappes aériennes visent également le sud-est du pays, où se cachent des leaders du mouvement de désobéissance civile. Car à la frontière entre le pays et la Thaïlande, et notamment du côté thaïlandais, des ethnies locales accueillent et forment militairement les opposants. Reportage sur place de la correspondante d'Europe 1.
Quitter son pays pour continuer à se battre
Au fond d’un restaurant discret, Saw Jay regarde nerveusement par-dessus son épaule. Ce jeune politicien et directeur d’une ONG birmane a passé illégalement la frontière thaïlandaise il y a près d’un mois. Après l’arrestation et la disparition de plusieurs de ses collègues, il a décidé de quitter son pays pour rester en vie et continuer à se battre. "Je ne voulais pas quitter mon pays, parce qu’on a besoin de gens sur le terrain. Mais les militaires ont commencé par s’attaquer aux députés du Parlement, de la Ligue pour la démocratie, puis petit à petit, ils se sont rapproché de nous, la prochaine génération de leaders", raconte-t-il au micro d'Europe 1. "Je participais bien sûr aux manifestations, comme renfort, et ils se sont mis à viser précisément les gens qui restaient à l’arrière (...) Puis la police m’a appelé pour me menacer, et je me suis dit qu’il était peut être temps de partir."
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"Si les étudiants veulent apprendre à se battre, on les formera"
Saw Jay n’est pas le seul à avoir choisi de quitter Rangoun. Des milliers de membres du mouvement de désobéissance civile, y compris certains leaders, sont aujourd’hui dans les zones frontières, sous la protection des groupes armés des minorités ethniques, et tout particulièrement chez les Karens, une communauté à cheval entre la Thaïlande et la Birmanie. Selon Pdoh hman hman, porte parole des autorités karens, nourrir et protéger ces fugitifs demande d’importantes ressources dans des zones où la nourriture, l’eau et l’électricité sont déjà des denrées rares en temps normal. "Nous abritons de nombreux députés, des fonctionnaires en grève, mais il y a aussi des soldats déserteurs et des policiers", confie-t-il. "Ceux-là ne sont vraiment pas en sécurité. Nous, on essaie de fournir un abri, des moyens de communication, un endroit d’où ils puissent travailler, organiser des meetings, etc..."
Mais assurer la sécurité de ces résistants n'est pas facile. Depuis plus d’une semaine, de violents affrontements ont repris dans les territoires karens. Les premières frappes aériennes de l’armée birmane depuis 20 ans dans la zone ont fait au moins une quinzaine de morts et provoqué la fuite de milliers de personnes vers la Thaïlande. Désormais, une grande partie de la lutte contre la junte repose sur les armées ethniques, qui menacent de s’unir et d’ouvrir des camps d’entraînement pour former les étudiants des villes aux techniques de combat, affirme Saw Htay Noo, directeur d’une ONG karen et proche des forces armées. "Bien sûr, si les étudiants veulent venir ici apprendre à se battre, à se défendre, à utiliser des armes à feu, on les formera. Et ensuite, ils pourront rentrer chez eux, reprendre le combat dans leurs villes respectives", explique-t-il. Et de conclure : "Nos groupes armés ethniques sont prêts à les aider".
Les jeunes Birmans ont baptisé leur mouvement "la révolution du printemps". @Carol Isoux/Europe 1
Les leaders ethniques veulent plus d'autonomie pour leurs provinces
Ce projet fait planer le spectre de la guerre civile. Mais avant de s’engager fermement, les leaders ethniques attendent des garanties sur un nouveau pacte national qui offrirait plus d’autonomie à leurs provinces et de contrôle sur les ressources naturelles. Une révolution dans un pays où la majorité ethnique Bamar a toujours contrôlé le pouvoir.
Chercheuse basée en Thaïlande, Nay Oo Mutraw estime que sous l’impulsion de la jeunesse, la société birmane est désormais prête à un tel changement. "Depuis l’indépendance en 1948, la société birmane pratique l’oppression, la discrimination et le racisme. Regardez ce qu’il s’est passé avec les Rohingyas, ce que les citoyens d’origine indienne et chinoise doivent subir. La jeunesse rejette tout cela. Nous ne voulons plus faire partie d’une société oppressive, nous voulons être libres dans nos pensées, nos actes, nos vies", dit-elle. "La jeune génération redéfinit courageusement quel genre de société nous pourrions, nous devrions être."
Derrière la résistance aux militaires, il y a donc le projet d’une nouvelle société birmane, radicalement différente, plus diverse et plus égalitaire. Et les jeunes Birmans appellent déjà leur mouvement "la révolution du printemps".