>> Pendant dix jours, notre reporter parcourt l'Europe du Sud pour comprendre comment nos voisins européens vivent leur déconfinement, la réouverture des frontières, l'approche des vacances, mais aussi prendre le pouls de l’économie locale. Un voyage de l'Italie jusqu'à la Grèce, en passant par les Balkans et la côte Adriatique. Après notamment Venise et Milan, pour la sixième étape de son "tour du déconfinement" européen, Jean-Sébastien Soldaïni a posé ses valises en Croatie, à Dubrovnik, qui attend impatiemment de retrouver ses touristes habituels.
Les douaniers croates sont à peine plus regardants que leurs collègues slovènes. Un rapide coup d’œil à ma lettre de mission et ils me laissent entrer. Le pays est à peu près dans la même situation épidémique. Le coronavirus est sur le point d’être maîtrisé. Direction Split, à travers un paysage de forêt qui s’estompe. Le maquis prend le dessus jusqu'à la côte Adriatique. Le stade de foot du Hajduk est en vue : une forme de coquillage qui s’ouvre sur cette ville portuaire. Cette partie est peu fréquentée, mais de l’autre côté de la colline, une superbe marina déroule ses terrasses de bars et de restaurants en contrebas du palais de Dioclétien, splendide forteresse.
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L’été semble déjà là, à en juger par le nombre de cocktails qui traînent sur les tables. Les Croates profitent, comme leurs voisins du nord, d’une certaine insouciance. Cette fois, seuls quelques masques - obligatoires pour le personnel hôtelier et les vendeurs - viennent rappeler que le coronavirus rôdait aussi par ici.
Retrouvez les précédentes étapes de notre tour d’Europe
• Première étape, Vintimille : si les touristes français ne viennent pas, "on peut fermer"
• Deuxième étape, Milan : se réinventer pour survivre à la crise économique
• Troisième étape, Venise : calme. propre et silencieuse
• Quatrième étape à la frontière slovène : "Une goutte après l'autre, le vase se remplira pour revenir à une situation normale"
• Cinquième étape, Slovénie : la vie normale...
Touristes et Croates absents
L’escale est courte, je dois me rendre à Dubrovnik, fleuron du tourisme en Croatie. La ville doit être bondée à cette époque de l’année, mais non. L’impression de revivre une vie normale, ressentie à Ljubljana et à Split, disparaît tout d’un coup. Le port de plaisance n’est pas rempli de luxueux yachts. Le parking le plus proche de la vieille ville n’est pas occupé par des bolides rutilants. Je trouve une place au -1. Et je descends à pied vers les vertigineux remparts du XVIe siècle. Impression de déjà-vu en entrant dans les étroites ruelles de pierres. Ce silence. Cette ambiance d’un autre temps : Venise la semaine passée. Après quelques pas, je remarque qu’un bruit revient régulièrement troubler le calme.
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Des travaux : coups de marteau, scies électriques… Les propriétaires d’hôtels et d’appartements à louer profitent du moment pour rénover et accueillir les touristes dans les meilleures conditions. Le 15 juin est en ligne de mire. C’est la date où la plupart des pays européens vont autoriser leurs ressortissants à voyager. Ouvrir les vannes, en quelque sorte. En tout cas, c’est ce qu’espèrent les professionnels du tourisme à Dubrovnik, comme le retour de Suisses et d’Allemands dépensiers. Car la clientèle croate n'est pas là. Ils sont pourtant libres de leurs mouvements dans le pays, mais comme les Italiens, le confinement a vidé les portefeuilles.
J’ai failli rater cette rencontre. Sur le retour de Dubrovnik, le village de Trsteno attire le regard et l’odorat. D'immenses cyprès dépassent des oliviers et une odeur de maquis remplit l’atmosphère. Mais les maisons, en majorité des résidences secondaires, sont vides. Au détour de l’église, deux personnes coupent du bois. L’un d’eux porte un pantalon et un t-shirt noir. Je demande s’ils parlent anglais. "A little", répond-il. Pas gagné. La conversation tourne court.
Padre David et le "paradis"
Mais quelques kilomètres après avoir quitté Trsteno, je me rends compte que l’homme en noir n’est autre que le curé. Et s'il parlait italien ? Bingo. La discussion s’installe alors qu’il prend place sous un olivier. Il s’excuse de ne pas porter sa chemise à faux-col. Derrière sa barbe rousse de 3 jours, "Padre David" dit avoir 50 ans. Il n’en parait pas 40.
Et cela fait déjà un quart de siècle qu’il a quitté son Italie natale pour s’installer dans cette petite paroisse. Trsteno est au sud de la Croatie. Une enclave, coincée entre l’Adriatique, le Monténégro et la Serbie. Un "paradis", sourit le curé. "Même au temps du confinement" car ils ont "pu profiter de la campagne et de la douceur de vivre". "Avec quelques contraintes", reconnaît-il.
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Être enclavé ne facilite pas l’approvisionnement en vivres : "Nous avons dû faire notre pain nous-même, piocher dans le potager des voisins… Pour ceux qui voulaient du poisson, il fallait aller pêcher." Rien de grave. "Nous avions le temps." Et pour la religion ? A la télé, sauf pour le Vendredi Saint : "Nous avons fait une procession à deux avec le sacristain", s’amuse "Padre David". "Nous avons été déconnectés du monde et de la Croatie pendant deux mois", poursuit-il. Mais à bien regarder autour de lui, le raccordement à "la vraie vie" n’a pas vraiment été rétabli.
La rigueur des douaniers bosniens
Je ne reste pas longtemps profiter de cette merveille plongée dans le calme. Je dois me rendre en Bosnie, enfin je l’espérais. Un douanier croate m’a laissé entendre que je pourrais transiter à travers le pays sans arrêt. Raté. Les douaniers bosniens ne sont pas dans le même état d’esprit que Croates et Slovènes. Le pays est encore en confinement et les autorités ne veulent pas de nouveaux cas importés. Les Français ne sont pas les bienvenus.
Et comme le Monténégro est aussi fermé aux étrangers, je vais devoir contourner la Bosnie pour me rendre en Serbie. Mon trajet dessine une longue racine carrée de Koper à Zagreb, via Dubrovnik. Pas le chemin le plus court. Pas le plus sec non plus. Le semblant d’été croate a été de courte durée. La pluie s’abat sur le nord du pays et m’accompagne jusqu’à la capitale.