Recevoir le Nobel est une des plus hautes distinctions qui puisse récompenser le travail d'une vie. Ça, c'est ce que pense la majorité des heureux élus. Mais, une poignée de "nobélisés" ont pourtant refusé de recevoir ces célèbres prix. Parfois sous la contrainte. Alors que lundi le millésime 2017 des Nobel a débuté, Europe 1 vous présente ces personnalités qui n'ont pas voulu ou n'ont pas pu recevoir leur Nobel.
Le Duc Tho : la paix ? Quelle paix ? Le Nobel de la paix est, chaque année, une des distinctions les plus attendues dans le monde et c'est aussi celle qui entraîne le plus de pronostics. En 1973 pourtant, l'annonce tombe à l'eau. Cette année, Stockholm décide de distinguer deux hommes politiques : l'Américain Henry Kissinger, secrétaire d'Etat à la Défense nationale, et le diplomate vietnamien Le Duc Tho. Ils ont à leur actif les accords de paix de Paris, alors fraîchement signés le 27 janvier de l'année même. Ces derniers posent les bases d'un cessez-le-feu et du retrait de l'armée américaine du Vietnam après plusieurs années de guerre.
Si Henry Kissinger accepte le prix, ce n'est pas le cas de son acolyte vietnamien qui estime que "la paix n'a pas réellement été établie". L'histoire lui donne raison. Bien que les Etats-Unis retirent définitivement leurs soldats en mars 1973, jusqu'en 1975, des offensives, des attentats et des embuscades violent régulièrement les accords de Paris.
Pour Jean-Paul Sartre, l'écrivain n'est pas une institution. Le site officiel des prix Nobel relate : le Nobel de littérature a été décerné à Jean-Paul Sartre "pour son oeuvre riche en idées et qui, par son esprit de liberté et sa recherche de la vérité, a exercé une vaste influence sur son époque". Des essais philosophiques (L'Être et le Néant, L'existentialisme est un humanisme), des romans (La Nausée, Les chemins de la liberté), des pièces de théâtre (Huis clos, Les mains sales)... l'écrivain, connu pour son engagement politique dans des courants d'extrême gauche, a été très prolifique. Mais le Français originaire de Paris était aussi réputé pour son intransigeance. Au point que, avant même d'être nobélisé, il prend sa plume dès qu'il apprend qu'il fait partie des favoris. Dans une lettre adressée à l'Académie des Nobel, il explique ne "pas désirer figurer dans la liste des lauréats possibles". Et de prendre les devants en cas de nobélisation : "je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus tard, accepter cette distinction honorifique".
Une fois nobélisé, il ne se dédie pas : "cette attitude est fondée sur ma conception du travail de l'écrivain. Un écrivain qui prend des positions politiques, sociales ou littéraires ne doit agir qu'avec les moyens qui sont les siens, c'est-à-dire la parole écrite. Toutes les distinctions qu'il peut recevoir exposent ses lecteurs à une pression que je n'estime pas souhaitable", explique-t-il le soir même de la nouvelle de sa distinction dans une déclaration destinée à la presse suédoise. Accepter le prix Nobel de littérature l'aurait transformé en "institution", "élevé sur un piédestal" alors qu'il n'avait pas "fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté et d'agir, de m'engager", expose-t-il encore.
Boris Pasternak, une "distinction non méritée". Le 29 octobre 1958, quelques jours après avoir décerné le Nobel de littérature à Boris Pasternak, l'Académie suédoise reçoit une lettre de l'écrivain russe : '"en raison de la signification attachée à cette récompense par la société dont je fais partie, je suis dans l'obligation de refuser cette distinction non méritée qui m'a été offerte". Né dans la Russie tsariste, témoin de la révolution russe de 1917 alors qu'il débute une carrière de poète, le jeune Pasternak déchante vite : ses œuvres sont jugées trop subjectives, traitent trop du passé… En résumé : elles ne sont pas assez socialistes.
L'artiste moscovite, né dans une famille juive, se recroqueville sur lui-même, voit ses proches, écrivains comme lui, condamnés au goulag. Alors qu'il vit grâce à des traductions de Shakespeare et de Goethe, sa grande oeuvre, Le Docteur Jivago, paraît en Italie en 1957. C'est un coup de tonnerre qui tombe sur les autorités soviétiques. "Emigrant intérieur", "snob malveillant", "navet réactionnaire"... la presse, aux ordres du Kremlin, lance une virulente campagne teintée d'antisémitisme contre l'écrivain considéré comme un traître.
Dans un tel contexte, Boris Pasternak, qui refusait comme son héros Youri Jivago de quitter l'URSS, a-t-il d'autre choix que de refuser le Nobel qui lui est attribué ? Il meurt un an et demi plus tard après avoir dit sur son lit de mort que, malgré tout, la vie avait été "belle, très belle".
Trois Nobel rejetés par l'Allemagne nazie. Dans les années 1930, trois scientifiques allemands sont distingués par l'Académie des Nobel : Richard Kuhn (1938) et Adolf Butenandt (1939) en chimie, Gerhard Domagt en médecine (1939). Mais aucun d'entre eux ne recevra son prix immédiatement. En 1936 en effet, l'Allemand Carl Von Ossietzky, démocrate et anti-nazi, avait été récompensé du Nobel de la Paix. Les autorités nazies, ulcérées, avaient alors ordonné aux citoyens allemands de refuser ce genre de distinction. Sans forcément rencontrer de résistance de la part des principaux intéressés. Le chimiste Richard Kuhn notamment n'a jamais caché son soutien au régime nazi, au contraire de son collègue, Gerhard Domagt, qui passe une semaine dans les geôles de la gestapo après l'annonce de son Nobel. Ce n'est qu'après la Seconde guerre mondiale que les trois chercheurs allemands pourront finalementrecevoir leur Nobel.