Ils se surnommaient "La Meute". Cinq Espagnols ont été condamnés jeudi à neuf ans de prison en Espagne pour des "abus sexuels" sur une jeune femme qu'ils avaient eux-mêmes filmés, mais la qualification de "viol" n'a pas été retenue, suscitant une vague de protestations.
Les cinq Sévillans, âgés de 27 à 29 ans, s'étaient eux-mêmes vantés de leurs actes du 7 juillet 2016, pendant les fêtes très populaires de la San Fermin en Navarre, dans le nord du pays. Sur un groupe de messagerie WhatsApp intitulé "La Manada" ("La Meute"), ils s'étaient notamment envoyé une vidéo des faits accompagnée du message : "en train d'en baiser une à cinq".
Le jugement fait la Une de toute la presse espagnole vendredi :
>> Le jugement de "La Meute" déclenche une vague d'indignation
>> "Entourée par cinq hommes, bien plus âgés qu'elle et de forte corpulence, la plaignante a été envahie d'un fort sentiment de trouble et d'angoisse, qui l'a plongée dans la stupeur et qui lui a fait adopter une attitude de soumission et de passivité, la conduisant à faire ce que les accusés lui demandaient de faire" Ça, ce n'est pas un viol ?"
>> "La Meute" convaincue d'abus mais pas d'agression sexuelle
Une peine très inférieure aux réquisitions du parquet. Le jugement du tribunal de Navarre était particulièrement attendu en Espagne, sept semaines après une "grève générale féministe" sans précédent et les énormes manifestations du 8 mars pour les droits des femmes. Les juges ont certes condamné chacun des cinq prévenus à neuf ans de prison pour "abus sexuel" sur une Madrilène de 18 ans, aggravé du chef d'"abus de faiblesse". Ils devront en outre verser 50.000 euros à la victime, qu'ils n'ont plus le droit d'approcher ni de contacter pendant quinze ans. Mais les magistrats n'ont pas retenu l'accusation de viol, pour lequel le Code pénal espagnol stipule qu'il doit y avoir eu "intimidation" ou "violence". La sentence est très inférieure aux réquisitions du parquet, qui avait requis 22 ans et 10 mois à l'encontre de chacun des prévenus.
" Si ce qu'a fait 'La Meute' n'est pas de la violence en groupe contre une femme sans défense, qu'entend-on alors par viol ? "
Une vague de soutiens à la victime. La décision judiciaire a aussitôt été contestée, et les avocats de la victime et de quatre accusés ont annoncé leur intention de faire appel. Aux portes du tribunal, des manifestants criaient "Ce n'est pas un abus sexuel, c'est un viol". Et de nombreux usagers de Twitter relançaient le slogan "Moi je te crois, ma sœur" à l'attention de la victime. Le chef de l'opposition, le socialiste Pedro Sanchez, s'est interrogé sur Twitter : "Si ce qu'a fait 'La Meute' n'est pas de la violence en groupe contre une femme sans défense, qu'entend-on alors par viol ?" La maire de Barcelone, Ada Colau, s'est adressée à la victime par un tweet : "Cela m'indigne qu'après un viol collectif, tu doives supporter la violence d'une justice patriarcale."
"J'ai réagi en me soumettant." L'affaire avait abouti en novembre 2017 à ce que la presse avait appelé le "procès de l'année" à Pampelune. À huis clos, la jeune femme avait raconté avoir bu de la sangria, dansé et fait la fête avec des amis, avant de se retrouver seule sur un banc, où un des jeunes étaient venus lui parler de "football" ou de "tatouage". Puis elle avait suivi le groupe, embrassé un garçon, sans "penser qu'allait se produire ce qui s'est produit", selon sa déclaration publiée par la presse. "Quand je me suis vue cernée… Je ne savais plus comment réagir… J'ai réagi en me soumettant", avait-elle résumé, en décrivant des fellations à la chaîne et des rapports imposés sans préservatif.
C'est l'histoire d'une fille de 18 ans qui a dénoncé un viol multiple il y a 2 ans, lors des fêtes de Pamplune de 2016. Les 5 andalous accusés n'ont cessé de dire qu'elle était consentante. Ils ont filmé "l'acte" et lui ont volé son tél avt de la laisser ds une entrée d'immeuble pic.twitter.com/BmnRLDl3g9
— Elise Gazengel (@EliseGaz) 26 avril 2018
De simples "relations sexuelles" selon la défense. Arrêtés dès le lendemain des faits, les prévenus sont restés depuis en détention provisoire. L'un d'eux est membre de la Garde civile (il a été suspendu de ses fonctions), un autre a appartenu à l'armée et plusieurs étaient des supporters "ultras" du club de football du Séville FC. Leurs avocats n'avaient admis que le vol du téléphone de la victime, abandonnée à demi-nue dans une entrée d'immeuble. Ils ont toujours soutenu que la jeune femme était consentante : à l'image, "on ne voit pas d'agression sexuelle, on voit des relations sexuelles, point", plaidait l'avocat de trois d'entre eux, Agustin Martinez Becerra.
" Il s'avère que si tu ne résistes pas, ce n'est pas un viol "
Vers une réforme de la législation ? La procureure Elesa Sarasate avait rejeté ces arguments en disant que "l'intimidation, gravissime, avait empêché la résistance ou la fuite". Elle faisait valoir que la jeune fille, qui ne s'était jamais adonnée au sexe en groupe, avait rencontré ses agresseurs sept minutes avant le "viol". La romancière espagnole Lucia Etxebarria a rappelé qu'il y a dix ans, au moment de la San Fermin 2008, une étudiante de 20 ans avait été tuée à Pampelune parce qu'elle résistait à son violeur. Et aujourd'hui, "il s'avère que si tu ne résistes pas, ce n'est pas un viol", a-t-elle souligné sur Twitter.Le ministre de la Justice Rafael Catala a admis qu'il était temps de "réfléchir à une réforme" de la législation espagnole sur les agressions sexuelles, qui date de 1995.