Sur les 7,4 millions d'habitants de Hong Kong, près de deux millions ont manifesté dimanche contre un projet de loi autorisant les extraditions vers Pékin. La veille, la cheffe pro-Pékin de l'exécutif local, Carrie Lam, avait annoncé la suspension du texte, sans réussir à décourager les manifestants, qui demandent son retrait pur et simple. Lundi matin, le leader pro-démocratie Joshua Wong, écroué pour des faits survenus durant le "mouvement des parapluies" de 2014, est sorti de prison, et a appelé la dirigeante à démissionner. Quel est le statut de Hong Kong ? Pourquoi le projet de loi sur les extraditions fait-il polémique ? Qui est Joshua Wong ? Europe 1 fait le point.
1. "Un pays, deux systèmes", la spécificité hongkongaise
Hong Kong est un territoire semi-autonome situé au sud-est de la Chine, régi par le principe "un pays, deux systèmes". Administrativement, la mégalopole appartient à la Chine, mais elle dispose de ses propres organisations politique, économique et judiciaire, incomparablement plus libérales que celles de Pékin. Officiellement "région administrative spéciale", Hong Kong dispose en outre de sa propre monnaie.
Cette spécificité s'explique par l'histoire. Au terme de deux guerres sino-britanniques, Pékin avait accordé en 1898 un bail de 99 ans sur Hong Kong au Royaume-Uni, qui a donc dominé ce territoire jusqu'en 1997. Pendant cette période, Hong Kong a progressivement pris la forme d'une démocratie libérale, et connu un important développement économique. La date fatidique de 1997 approchant, le gouvernement britannique a accepté de rétrocéder le territoire à la Chine, à condition que celle-ci lui accorde une période de transition de 50 ans, durant laquelle son système spécifique serait maintenu. Hong Kong vit actuellement sous ce régime, prévu pour durer jusqu'en 2047.
2. La loi sur les extraditions, menace pour l'indépendance de la justice
Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, Pékin tente de renforcer son contrôle sur Hong Kong. Mais la population, qui redoute de perdre ses libertés, s'oppose systématiquement à ces velléités. Les manifestations contre le projet de loi sur les extraditions en sont le dernier exemple. Concrètement, les Hongkongais redoutent que si cette loi est adoptée, n'importe qui puisse être envoyé en Chine continentale à la demande de Pékin, pour être jugé selon la justice locale, réputée opaque et soumise au Parti communiste (là où la justice hongkongaise est louée pour son indépendance).
Cette perspective effraie, un peu moins de trois ans après l'affaire des libraires disparus. En 2015, cinq professionnels du livre, connus pour publier ou commercialiser des ouvrages critiques envers Pékin, n'avaient plus donné signe de vie du jour au lendemain. Ils étaient réapparus quelques mois plus tard, et étaient restés très vagues sur ce qui leur était arrivé, se contentant de présenter leurs excuses aux autorités chinoises pour leurs publications critiques. Selon les détracteurs du projet de loi sur les extraditions, si celui-ci passait, les épisodes de ce type pourraient se reproduire à la moindre occasion, en toute légalité.
3. De la contestation d'un texte à la contestation générale
Lors de la première manifestation d'opposition au texte, dimanche 9 juin, environ un million de personnes étaient descendues dans la rue. Parmi elles, des défenseurs des libertés individuelles comme de simples citoyens, mais aussi des capitaines d'industrie, qui redoutent que la loi ne ternisse l'image de Hong Kong à l'international, et ne fasse baisser les investissements.
Le mercredi suivant, un nouveau rassemblement massif a été violemment réprimé par la police, qui a utilisé des balles en caoutchouc pour disperser la foule. Avec 80 blessés, dont 22 policiers, il s'agit du plus grave épisode de violence politique survenu sur la péninsule depuis la rétrocession de 1997. Dès lors, les mots d'ordre du mouvement se sont élargis. À la critique du projet de loi, s'ajoutent désormais celle des violences policières, et, dans certains cas, l'appel à la démission de la cheffe de l'exécutif hongkongais Carrie Lam.
Pour l'heure, celle-ci s'est contentée de présenter ses "excuses", dimanche soir, dans un communiqué laconique reconnaissant des "lacunes" dans le traitement du problème par le gouvernement. Pékin lui a toutefois renouvelé sa confiance lundi, laissant présager de son maintien au pouvoir.
4. Le retour de Joshua Wong
La démission de Carrie Lam a notamment été demandée par Josha Wong, leader du "mouvement des parapluies" de 2014, sorti de prison lundi matin. Il avait été condamné en janvier 2018 à trois mois d'incarcération pour avoir refusé, à l'époque, d'évacuer un campement de protestation sur une place. Il avait fait appel du jugement et était resté libre sous caution jusqu'au verdict, rendu mi-mai, au terme duquel il avait été écroué, sa peine réduite à deux mois.
Il semble avoir bénéficié d'une remise de peine pour bonne conduite, et rien ne permet d'affirmer que sa libération ait un rapport avec le mouvement en cours, cette pratique étant courante à Hong Kong. Il a toutefois immédiatement annoncé son intention de rejoindre les manifestants, pour lutter "contre la loi maléfique sur l'extradition vers la Chine".
5. Les médias chinois entre déni et mutisme
La presse d'État chinoise a gardé le silence, dimanche, sur la manifestation, pourtant couverte par les médias du monde entier. Seul le Quotidien du Peuple s'est fendu d'un bref article, affirmant que le projet de loi était "soutenu par la majorité de l'opinion publique à Hong Kong", sans mentionner sa suspension, la veille. Une semaine plus tôt, à la suite de la première manifestation, le China Daily avait assuré qu'une marche pro-loi avait réuni 800.000 personnes. Le mouvement est en outre resté hors des radars des réseaux sociaux chinois.