Le meurtre ressemble à s'y méprendre à ceux minutieusement décrits dans les romans d'espionnage. Lundi, un homme est touché par des aiguilles empoisonnées à l'aéroport de Kuala Lumpur en Malaisie, selon les premiers éléments de l'enquête. Il appelle à l'aide, est envoyé à la clinique. Mais trop tard. Dans l'ambulance qui doit l'amener vers un autre hôpital, l'homme s'écroule, victime d'une crise cardiaque.
Cet homme de 45 ans n'a pourtant rien d'un héros de fiction. Selon les médias sud-coréens qui rapportent ce mystérieux assassinat mardi, il s'agit de Kim Jong-Nam, fils aîné du dirigeant défunt Kim Jong-Il et demi-frère de l'actuel dictateur nord-coréen. Il avait été pressenti, un temps, comme héritier du régime de Pyongyang, avant de tomber en disgrâce pour avoir notamment critiqué le régime. Une autopsie doit être pratiquée mercredi sur le corps du demi-frère.
Derrière ce meurtre présumé, faut-il voir la volonté de Kim Jong-Un de faire le ménage autour de lui, se débarrassant du moindre opposant ? Pour la Corée du Sud, la voisine ennemi de la dictature nord-coréenne, cela ne fait pas de doute. Mercredi, Séoul a estimé que ce meurtre démontrait "la brutalité et la nature inhumaine" du régime de Pyongyang.
La purge, une tradition. "Ce n'est pas la première fois que la Corée du Nord est soupçonnée de commanditer un assassinat, même si dans ces cas là, il est toujours impossible de le prouver", nous explique Juliette Morillot, spécialiste de la Corée du Nord, co-auteure avec Dorian Malovic de La Corée du Nord en 100 questions (Ed.Tallendier).
"A l'époque de la Grande famine, sous le grand-père, des raids étaient organisés par les services secrets nord coréens en Corée du sud. La purge fait partie des traditions des dictatures communistes", confirme Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'Iris, l'institut de relations internationales et stratégiques. Il y voit un moyen pour le régime de maintenir l'ordre dans son camp.
La théorie de la vengeance. Kim Jong-Nam n'est pas pour autant considéré comme un opposant au régime en tant que tel. En 2010, il avait affirmé que le pouvoir ne l'intéressait pas, s'était dit "opposé à la transmission héréditaire à une troisième génération de la famille", et avait émis des doutes un an plus tard sur les capacités de Kim Jong-Un à gouverner ; pour autant, "cela ne fait pas de lui un véritable opposant", tempère Juliette Morillot. "Dans un livre qu'il avait publié, Kim Jong-Nam avait réitéré sa fidélité au régime. "Plus qu'un opposant, il a été un rival pour son frère".
Pour la spécialiste de la Corée du Nord, s'il était avéré que l'assassinat de Kim-Jong Nam a été commandité par le dirigeant nord-coréen, il pourrait alors s'agir "d'une histoire de vengeance à rebours". "Ce meurtre pourrait être lié à une autre exécution, celle de Jang Song Thaek", l'oncle des Kim", souligne-t-elle.
Le tonton flingué. Car en 2013, deux ans après l'arrivée de Kim Jong-Un au pouvoir, ce fameux tonton est arrêté, jugé par un tribunal militaire spécial, puis condamné à mort. Pyongyang avait affirmé alors que l'homme était un "traître à la nation". "Jang Song Thaek avait été chargé de coacher Kim Jong-Un avant la mort de Kim Jong-Il, son père. Mais l'oncle soutenait en fait Kim Jong-Nam", rapporte Juliette Morillot.
En 2001, Kim Jong-Nam avait été disgracié après avoir été arrêté à l'aéroport de de Tokyo muni d'un faux passeport dominicain avec deux femmes et un enfant. Il avait alors déclaré aux autorités qu'il voulait visiter Tokyo Disneyland. Après cette mésaventure, il s'était exilé avec sa famille. "Kim Jong-Il avait alors fait promettre à son beau-frère Jang Song Thaek de ne plus soutenir le demi-frère, Kim Jong-Nam. Mais l'oncle a continué d'être proche de lui", relève l'auteure.
A son arrivée à la tête du pays, en 2011, Kim Jong-Un, pour asseoir son pouvoir, cherche à éliminer tous les membres de l'ancienne garde. Parmi eux, l'oncle : Jang Song Thaek. "L'assassinat de Kim Jong-Nam pourrait s'inscrire dans la continuité de cette purge", selon Juliette Morillot.
Une piste mafieuse ? Pour autant, l'auteure n'exclut pas une autre piste, bien que moins crédible, d'après elle. Celle d'un meurtre commandité par la mafia. "Kim Jung-Nam magouillait en Asie. C'était un homme d'affaires qui traînait dans des milieux peu clairs, en Chine, en Asie du Sud-Est. On ne peut donc pas exclure la vendetta entre hommes d'affaires". Car ajoute la spécialiste, "avec la Corée du Nord, il faut toujours se méfier".