Le monde du flamenco souffre en Espagne à cause du Covid-19. 6:20
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Henry de Laguérie, édité par Jonathan Grelier
Le flamenco, danse très populaire en Espagne, souffre à cause de la pandémie de Covid-19. Depuis mars, les tablaos, les salles de danse, sont fermées et ont vu leur large clientèle étrangère disparaître. Europe 1 s'est rendu au Tablao de Carmen, salle emblématique de Barcelone, et a rencontré une des grands espoirs du flamenco qui s'impatiente en attendant de reprendre sa carrière.
REPORTAGE

La pandémie de Covid-19 bouleverse le monde et mêmes les traditions qui paraissaient les plus solides souffrent. En Espagne, le monde du flamenco est à l'agonie, en raison des salles de danse qui ont portes closes depuis le début de l'épidémie. Peu aidées par l'État, beaucoup de ces établissements, connus sous le nom de tablaos, ont dû fermer définitivement. À Madrid par exemple, six des 20 salles de flamenco ont disparu depuis le début de l’épidémie, dont l’emblématique Casa Patas. Les plus solides sont, elles, condamnées à hiberner.

"C'est comme si ma vie s'était arrêtée"

Pendant ce temps-là, les danseurs trépignent d'impatience de pouvoir fouler à nouveau les parquets des tablaos. "J'ai besoin de sortir, j'ai besoin de danser à nouveau et de montrer aux gens ce que je ressens vraiment", illustre Gema Amaya, une des grands espoirs du flamenco espagnol, au micro d'Europe 1.

Depuis neuf mois, la jeune femme de 18 ans danse chez elle, dans l'appartement exigu de ses parents, en banlieue de Barcelone. Avant l’épidémie, la grande gitane aux cheveux bruns faisait son spectacle plusieurs fois par semaine. "J'étais habituée à faire ce que j’aime, à danser et à travailler au tablao. Maintenant que je ne le fais pas, ça me manque énormément. Je m’en rends compte parce que c’était ma routine et là c’est comme si ma vie s’était arrêtée", raconte-t-elle.

Gema chez elle 1 (1)

Gema, une des grands espoirs du flamenco espagnol, danse devant sa maman, Susana, et sa famille. Crédit photo : Henry de Laguérie, correspondant d'Europe 1 en Espagne

"Évidemment, ce n’est pas la même chose de danser pour sa famille. C’est sympa bien sûr, mais ils en ont marre de me voir danser ! Devant un public étranger qui s'intéresse au flamenco, c’est autre chose. Ils vibrent et c'est incroyable", poursuit Gema Amaya. Devenue professionnelle à ses 16 ans, elle est frustrée depuis l'apparition du Covid-19. Et sa maman, Susana Amaya, sa plus grande admiratrice, peine à gérer sa frustration face à ce coup d'arrêt pour sa jeune carrière. "Regardez, vous pouvez le voir, mon carrelage est cassé car elle n’arrête pas de danser ! Et puis quand je lui dit 'Gema, mets la table !', voilà ce qu’elle fait. 'Gema range la cour' 'Oui maman !'. Même quand elle fait la vaisselle, elle se met à danser, et c’est comme ça toute la journée", relate-t-elle.

Des tablaos fermés depuis le 14 mars

Gema s’est révélée au Tablao de Carmen. Chaque soir, 150 personnes venaient dîner et profiter d'un spectacle si propre à l’Espagne dans cette salle emblématique de Barcelone. "Bienvenue au Tablao de Carmen, c'est fermé malheureusement depuis le 14 mars et on ne sait pas comment on va faire pour rouvrir", nous accueille Mimo Agüero, la propriétaire des lieux. Ici, les 15 employés ont été placés en chômage partiel. Les danseurs, payés au cachet, n’ont plus aucun revenu et un silence pesant s’est abattu dans cette salle d'habitude si vivante.

Tablao OK

En Espagne, les salles de flamenco sont appelées les tablaos. Crédit photo : Henry de Laguérie, correspondant d'Europe 1 en Espagne.

"Pour moi, c'est difficile parce que c'est ma famille qui a construit l'endroit et qui l'a dessiné tel quel. Mon père était guitariste et pour moi, c'est un drame. Mais je crois que c'est plutôt un drame pour la culture de Barcelone et ce serait dommage que ça disparaisse", poursuit la propriétaire.

Les touristes représentent entre 70 et 90% de la clientèle des tablaos en Espagne. Sans eux, impossible de rouvrir, comme l'explique à Europe 1 Augustin de Beaucé, un Français tombé amoureux du flamenco il y a 20 ans, et gérant de la salle :  "Ce ne sont que des étrangers qui viennent. Pourquoi ? Parce que ce qu'on voit ici est authentique. C'est quelque chose qu'on ne peut pas voir ailleurs. Les artistes sont des gens qui vivent ici, la majorité sont des gitans, donc c'est difficile d'exporter à l'étranger sauf dans des théâtres." "On va directement à la ruine et pour les artistes c'est pareil, on est vraiment dans le même bateau", ajoute-t-il.

Des aides dérisoires

Inscrit au patrimoine immatériel de l’Unesco, le flamenco ne peut guère compter sur l'État espagnol. Le secteur n'a reçu quasiment aucune aide. Des prêts à taux très réduits et garantis par l'État sont accordés aux entreprises qui souffrent, dont celle de la culture, mais les autres aides sont compliquées à obtenir et leur montant est faible. Par ailleurs, le statut d’intermittent du spectacle n'existe pas dans le pays. Il y a quelques mois, Augustin de Beaucé, le gérant du Tablao de Carmen donc, vivait très correctement. Désormais, il n'a que 400 euros par mois pour vivre. L'académie espagnole de cinéma a même monté sa propre banque alimentaire afin de distribuer des repas aux professionnels de la culture qui n'ont plus aucun revenu.

Pour tenter de survivre, le Tablao de Carmen va bientôt être placé en redressement judiciaire. Cela permettra de suspendre le paiement des charges et notamment d'une partie de la sécurité sociale des employés pour le moment au chômage. Mais Mimo Agüero espère vraiment rouvrir d'ici l’été prochain : "Je ne suis pas une femme d'entreprise conventionnelle et je crois à cet endroit, c'est un mythe à Barcelone et mon idée est de continuer. Je ne sais pas comment, mais il ne faut pas fermer. Que ça existe, que ça continue, le flamenco, ici."

"Je suis certaine qu'on sera bientôt de retour"

Remonter sur les planches, c’est l'obsession de tous les danseurs et de Gema qui doit tant au Tablao de Carmen. "Moi franchement je suis certaine qu'on sera bientôt de retour. Le flamenco va revenir", espère-t-elle.

Et au-delà de flamenco, c'est tout le monde de la culture qui est menacé en Espagne. Des salles de concert, des théâtres et des galeries d'art ont déposé le bilan. Il y a quelques semaines, le secteur de la musique s’est mobilisé en organisant le même soir des concerts retransmis sur internet. Nom de l’opération : "le dernier concert ?" L'objectif évident était d'alerter les autorités. Les théâtres et les cinémas peuvent ouvrir, mais avec des capacités très réduites. Beaucoup de salles ne l'ont donc pas fait, car ce n’est pas rentable.

La plupart des salles de concerts sont fermées. C’est le cas également de plusieurs musées. Sans les touristes, impossible d’être à l'équilibre financier. En Espagne, la crainte est que l'offre culturelle ne retrouve jamais son niveau d'avant Covid-19.