Après une période démocratique de près de sept ans, le Burkina Faso retombe sous la junte militaire. Entre un sentiment antifrançais exacerbé, une influence russe grandissante et un territoire gangrené par le djihadisme, ce pays stratégique du Sahel est soumis à d'énormes tensions. Le résultat de plusieurs années d’échecs dans la lutte contre le terrorisme et d’une crise politique interne sans solution immédiate. C’est en tout cas le bilan de Niagalé Bagayoko, docteure en Science politique et spécialiste des questions de sécurité en Afrique subsaharienne.
Une instabilité politique depuis des décennies
Pour comprendre, un rapide retour en arrière s’impose. Depuis l’indépendance du Burkina Faso en 1960, le pays a connu huit coups d'État, entrecoupés de périodes démocratiques avec plusieurs présidents élus. Parmi ces chefs d’État, le président Blaise Compaoré est resté 27 ans au pouvoir avant d’être chassé par une insurrection populaire.
En 2015, il est remplacé par Roch Marc Christian Kaboré, élu démocratiquement. Alors qu’il entamait son deuxième mandat, c’est ce dernier qui a été renversé en janvier dernier par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), avec à sa tête le lieutenant-colonel Damiba. "Depuis l’indépendance, tous les mandats des différentes autorités se sont terminés par des coups d’État dans le pays. Il ne faut donc pas considérer les événements actuels comme un phénomène inédit", précise Niagalé Bagayoko.
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Une incapacité totale du pouvoir à gérer ses forces armées
Fait étonnant, le capitaine Ibrahim Traoré responsable du putsch de vendredi, est également issu du MPSR. Il avait même soutenu le lieutenant-colonel Damiba lors de sa prise de pouvoir.
"La raison avancée par le MPSR pour son coup de force en janvier était l'incapacité du président élu Roch Marc Christian Kaboré à faire face à l'insécurité endémique. L'élément déclencheur a été le massacre d'Inata, où des gendarmes burkinabés ont été massacrés par des djihadistes, alors qu'ils étaient laissés sans armes ni nourriture depuis quinze jours", explique-t-elle.
"Le scandale a été tellement grand, l'incapacité totale des autorités à gérer la crise est apparue de manière tellement crue qu'il y a eu un grand soutien populaire au coup d'État de janvier", ajoute la chercheuse.
Pourquoi le capitaine Traoré, issu du même mouvement politique que son prédécesseur, a pris le pouvoir ?
Le coup d'État du capitaine Traoré, lui, a d'ailleurs pour origine le même type d'événement : l'attaque de Gaskindé, où là encore, il y a eu au moins 18 militaires tués, une cinquantaine de personnes disparues et une absence d'approvisionnement en armes et en logistique. Pourtant, Damiba a pris plusieurs mesures pour tenter de réorganiser le déploiement des forces armées.
"Il a créé ce qu'il a appelé des zones d'intérêt militaire. Il a essayé de créer des numéros vert, par exemple pour lutter contre les exactions commises par les forces de défense et de sécurité elles mêmes. Mais surtout, il a pris des mesures qui ont visé à consolider son pouvoir politique, y compris en favorisant le retour qui a fait scandale du président renversé Blaise Compaoré, alors que celui-ci avait été condamné lors d'un procès pour le meurtre de Thomas Sankara", détaille Niagalé Bagayoko.
Si Damiba avait été porté par la ferveur populaire, on observe le phénomène inverse pour le putsch de Traoré. Ce sont les militaires qui ont cherché à mobiliser la population pour appuyer la lutte interne au sein de l'armée, grâce à une manipulation de l'information. "Traoré et ceux qui le soutiennent ont fait courir le bruit que Damiba était soutenu par la France, qu'il a été réfugié dans la base des forces spéciales françaises sises de manière permanente à quelques kilomètres e Ouagadougou. Ce qui a enflammé la population, qui s'est mobilisée après", précise la chercheuse.
Un sentiment antifrançais exacerbé
À noter que ce soutien de la France à Damiba est complètement faux mais a suffi à la prise de pouvoir du capitaine Traoré, devenu officiellement jeudi, à 34 ans, le plus jeune chef d'État au monde. Cette manœuvre politique explique donc les manifestations antifrançaises qui ont eu lieu le week-end dernier à Ouagadougou, où des dizaines de manifestants ont jeté des pierres et mis le feu à des barrières de protection de l'ambassade française présente dans la capitale.
"C'est ça la difficulté. Aujourd'hui le sentiment antifrançais est extrêmement profond et très facile à activer pour n'importe quelle cause. Et là on voit à quel point la mobilisation est immédiate. Parce qu'en effet, la France et surtout sa politique étrangère font l'objet d'un rejet et d'une hostilité absolument viscérale qui se sont développés à bas bruit et qu'on aurait tort, à mon avis, de percevoir comme étant uniquement manipulés par des puissances extérieures. Ce n'est pas le cas. La Russie exploite ce sentiment de rejet de la France mais il vient d'ailleurs à l'origine", conclut-t-elle.