Un homme est décédé après avoir été "tabassé" par des hommes en uniforme à Sokodé, deuxième ville du Togo, et 16 manifestants ont été condamnés à Lomé pour troubles à l'ordre public, après une semaine de heurts avec les forces de l'ordre.
"Ils l'ont frappé avec des barres de fer." "Quand les soldats sont arrivés dans le quartier de Kuwawu Woro (Sokodé) vendredi après-midi, tout le monde a fui", raconte à l'AFP un membre de la famille de la victime avant d'ajouter : "Des hommes en uniforme ont attrapé mon frère et ils l'ont frappé avec des barres de fer."
"On l'a amené dans une clinique, puis au centre hospitalier de la ville, mais ils n'ont pu le réanimer", explique cette même source. Un soignant de l'hôpital de Sokodé, sous couvert de l'anonymat, a confirmé samedi le décès de Moutaka Akondo, 36 ans, "frappé avec un pilon".
"Les militaires continuent à terroriser la population." La ville est "en état de siège", les militaires "quadrillent les rues" et "entrent dans les maisons", selon un autre habitant de Sokodé, contacté par l'AFP. "Tout est fermé, il est même impossible d'acheter du crédit de téléphone à Sokodé, raconte à l'AFP Tom Feiyilley, correspondant d'un média local. Les militaires empêchent la vie de reprendre, ils continuent à terroriser la population et tirent en l'air pendant la nuit pour accentuer la peur". La deuxième ville du Togo est le fief du Parti national panafricain (PNP), nouveau parti d'opposition qui rassemble une grande partie du nord du pays autour de la figure de son leader, Tikpi Atchadam. A Lomé, la capitale, le calme est revenu après plusieurs jours de violences cette semaine : des groupes de jeunes manifestants ont dressé des barricades, notamment dans le quartier de Bé, bastion historique de l'opposition.
Jeudi, trois personnes sont mortes, et 44 blessées dans des heurts avec les forces de l'ordre, selon l'opposition et les organisations de défense des droits de l'Homme, un bilan démenti par les autorités togolaises. Vendredi, 30 personnes arrêtées en début de semaine, ont été jugées par le tribunal de première instance de Lomé, pour "troubles à l'ordre public, résistance aux forces de l'ordre, voies de fait, violences et rébellion", a rapporté samedi Me Raphaël Kpandé-Adzaré, président de la Ligue togolaise des droits de l'Homme. Seize personnes ont été condamnées à 18 mois de prison dont 8 avec sursis, 11 ont été relâchées et le dossier de trois mineurs seront revus par le procureur.
"La justice est devenue le bras armé du pouvoir." Selon Me Kpandé-Adzaré, il s'agissait "d'un procès expéditif pour pouvoir condamner les gens et les intimider. La justice est devenue le bras armé pouvoir". Lundi soir, l'arrestation d'un imam proche du PNP à Sokodé a déclenché une vague de violences entre les habitants et les forces de l'ordre. De nombreux bâtiments ont été incendiés, notamment des maisons des membres du parti présidentiel, et le mouvement spontané s'est propagé à de nombreuses villes du pays.
Depuis plus de deux mois, l'opposition organise des marches contre le pouvoir, pour demander une limitation non-rétroactive du nombre de mandats présidentiels, ainsi que la démission du président Faure Gnassingbé, à la tête du Togo depuis 2005, prenant la succession de son père, le général Gnassingbé Eyadéma, qui a dirigé le pays d'une main de fer pendant 38 ans. Seize personnes, dont des adolescents et deux militaires lynchés par la foule, ont ainsi été tuées en à peine deux mois. Les violences ont fait quelque 200 blessés. Malgré cette escalade, ni le président Gnassingbé, ni aucun chef d'Etat de la région ne s'est exprimé publiquement sur cette crise.
L'UE condamne "fermement les violences". Plusieurs représentants de la région se sont rendus discrètement à Lomé pour s'entretenir avec le chef d'Etat togolais, dont le président béninois Patrice Talon, et vendredi, le ministre ivoirien de la Défense, Hamed Bakayoko, qui a seulement déclaré avoir eu un "échange de qualité" avec la présidence. De leur côté, la France et l'Union européenne ont condamné "fermement les violences récentes qui ont fait plusieurs victimes" et appellent "les parties (...) à entamer un dialogue".