"Le niveau de menaces d'ingérences étrangères se situe à un stade élevé dans un contexte international tendu et décomplexé", estiment les auteurs du rapport. Si les services de renseignement peuvent recourir "à divers moyens d'entrave pour contrecarrer les ingérences étrangères", ces outils ne "suffisent pas à eux seuls dans la durée", tranchent-ils.
Pour renforcer leur arsenal, les parlementaires proposent l'instauration d'un "dispositif législatif ad hoc de prévention des ingérences étrangères sur le modèle de la loi américaine", le recours à la procédure des gels des avoirs "à toute personne ou structure se livrant à des actions préjudiciables au maintien de la cohésion nationale ou destinée à favoriser les intérêts d'une puissance étrangère".
Ils suggèrent aussi "une réponse européenne" et estiment que ces différentes mesures pourraient être regroupées "dans un projet de loi dédié à la lutte contre les ingérences étrangères".
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La délégation relève que cette menace a pris "une nouvelle ampleur ces dernières années, en raison d'abord d'un changement "radical du contexte géopolitique". "Nous sommes passés brutalement d'un monde de compétition à un monde de confrontation avec d'un côté les régimes autoritaires et de l'autre les démocraties occidentales", écrivent les auteurs du rapport.
"Ce clivage entre l'Occident et le reste du monde s'impose", selon eux, "comme le marqueur dominant de la période actuelle". S'y ajoute la révolution numérique avec le cyberespace, "devenu un champ privilégié de confrontation et de compétition entre Etats", et les politiques d'influence et d'espionnage qui constituent "les menaces hybrides".
"Guerre informationnelle"
La délégation pointe du doigt les "campagnes de manipulation de l'information à grande échelle", une forme "nouvelle d'ingérence étrangère" qui a pris, selon elle, "une ampleur sans précédent".
"Les fausses nouvelles sont les armes d'une guerre conduite contre l'Occident", insistent les auteurs du rapport. Ils citent l'élection présidentielle américaine de 2016 ou le référendum britannique sur le Brexit, qui ont fait "l'objet de campagnes d'ingérence numérique étrangère sur les réseaux et médias sociaux", et en France l'affaire des "Macron Leaks" avant le second tour de la présidentielle de 2017.
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Les auteurs citent la Russie comme un acteur important et décrivent "sa signature", ses modes opératoires. Parmi eux figurent l’infiltration, la nomination aux conseils d'administration de grands groupes russes d'anciens dirigeants européens, comme l'ex-Premier ministre François Fillon ou l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder, et la manipulation de l'information.
Sur ce dernier point, la délégation note que la fermeture en France des médias Russia Today et Sputnik a "permis de diminuer la portée de la guerre informationnelle" de la Russie. La Chine, autre acteur actif, a pour mode opérationnel "le front uni", une "stratégie politique et un réseau d'institutions publiques et privées et d'individus clés, placés sous le contrôle du parti communiste chinois".
Le rôle de la Turquie
La diaspora chinoise (600.000 personnes en France) y joue un rôle important. La Turquie a aussi des velléités d'ingérence, selon la délégation, avec l'objectif "de contrôler la diaspora turque en tant que relai des idées du pouvoir d'Ankara, c'est-à-dire hostiles aux Kurdes et aux Arméniens".
Elle souligne également la "pratique religieuse", "puissant levier pour promouvoir une idéologie politique". À cet égard, elle évoque le financement des lieux de culte en France et le détachement d'imams au sein de mosquées françaises, jusqu'alors autorisé, qui a "permis à la Turquie de peser sur l'islam de France".
Autre mode opératoire de la Turquie, selon la délégation, "l'entrisme en politique via la participation aux élections locales et nationales", une présence active sur les réseaux sociaux pour diffuser des messages hostiles à un texte de loi, comme celui relatif au séparatisme.
La délégation déplore la "naïveté" des élus, hauts fonctionnaires, entreprises et milieux académiques face à l'ingérence étrangère. Lors de son audition en février, le Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), Nicolas Lerner, avait mis en garde députés et sénateurs contre des tentatives d'approche d'agents de renseignement étrangers, notamment russes sous couverture diplomatique, pour des opérations d'espionnage ou d'ingérence.