Ils s’en prennent depuis des semaines au trafic maritime international en mer Rouge en "solidarité" avec Gaza. Les Houthis, groupe de rebelles armés yéménite, ont de nouveau revendiqué ce vendredi matin avoir visé un navire marchand américain circulant dans le Golfe d'Aden. Mercredi, Washington a par ailleurs remis le mouvement rebelle sur une de ses listes des organisations "terroristes" et a frappé à plusieurs reprises les positions des Houthis. Pourquoi une telle escalade dans la région ? On fait le point.
Qui sont les Houthis ?
Les Houthis, dont le nom renvoie à une tribu yéménite et au guide spirituel musulman Badreddine al-Houthi, sont actifs depuis le milieu des années 1990 dans le nord du Yémen. "Au tout départ, les revendications sont principalement socio-économiques, liées aux inégalités de développement sur le territoire yéménite. Au nord, les régions sont beaucoup plus pauvres et avec une coloration sociale et confessionnelle spécifique. Les Houthis apparaissent pour mettre la pression sur l’ancien gouvernement d’Abdallah Saleh, en place jusqu’en 2011", détaille Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’IFRI et spécialiste de la région.
D’abord non-armé, ce groupe participe même au processus politique mais ne va pas obtenir ce qu’il souhaite. À la fin des années 1990, les Houthis entrent dans une lutte armée, provoquant une série de conflits avec le gouvernement, sur fond de rivalité entre zaydistes - une branche des chiites -, confession des Houthis, et sunnites. "C’est donc un conflit assez ancien", précise Jean-Loup Samaan. Après la chute de Saleh, ces derniers vont profiter de la faiblesse du gouvernement suivant, soutenu par l’Arabie saoudite, pour mener une offensive sur la capitale Sanaa depuis le nord et en prendre le contrôle. Aujourd’hui, une large partie des territoires de l’ouest du Yémen est aux mains des rebelles houthistes, soutenus par l’Iran.
"Le soutien militaire iranien commence réellement en 2015. Il est moins idéologique que stratégique et opportuniste, dans le sens où c’est un moyen pour les Iraniens d’affaiblir les Saoudiens à faible coût, en renforçant une milice dans un autre pays, où ils pourront, sans être engagés directement, affaiblir leur rival", explique le spécialiste. Un soutien militaire qui explique les moyens déployés par les Houthis dans leurs attaques actuelles dans le détroit de Bab El-Mandeb, au large du Yémen et à l’entrée de la mer Rouge.
Pourquoi attaquer des navires occidentaux ?
Pour Jean-Loup Samaan, les attaques de navires commerciaux portent plusieurs raisons. D’abord, ces attaques sont pour les Houthis un moyen de remettre la crise au Yémen sur le devant de la scène internationale. Le pays est lancé dans un processus de sortie de crise depuis deux ans, avec d’une part l’Arabie saoudite qui souhaite se retirer et de l’autre le groupe de rebelles voulant contrôler au maximum la transition politique, sans partager le pouvoir, et ce malgré les critiques de la population yéménite. "Donc c’est une manière, vis-à-vis des Américains et des Saoudiens, de réaffirmer le rapport de force et en disant qu’on ne peut pas envisager la stabilité du Golfe sans accepter la présence des Houthis", poursuit le chercheur de l’IFRI.
Quant au soutien à la cause palestinienne, il s’agit là plus d’un opportunisme et d’une façon de capitaliser sur l’intérêt médiatique autour du conflit Israël-Hamas qu’une véritable prise de position. "La carte pro-palestinienne leur permet de gagner assez facilement des points dans les opinions. Ça permet aux Yéménites de se raccrocher à ce narratif et de dire 'on lutte pour les Palestiniens comme on lutte pour les Yéménites', contre les Occidentaux", détaille Jean-Loup Samaan.
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Doit-on craindre un embrasement dans la région ?
Pour lutter contre les attaques des Houthis et sécuriser le détroit, les États-Unis ont lancé l’opération "Gardiens de la prospérité", rapidement rejoints par le Royaume-Uni et dans une moindre mesure d’autres pays comme la Norvège, les Pays-Bas ou la France. Plusieurs frégates et destroyers, ainsi que le porte-avions USS Dwight Eisenhower participent à cette opération.
Malgré un total de cinq frappes sur les positions Houthis, la situation semble inchangée. L’enjeu est pourtant capital : 12% du commerce mondial circule dans le détroit de Bab El-Mandeb, point de passage avant le canal de Suez. De nombreux armateurs ont préféré interrompre leur trafic dans cette zone pour un itinéraire alternatif autour du cap sud-africain de Bonne-Espérance, plus long et coûteux. Depuis la mi-novembre, le nombre de conteneurs a chuté de 70%, selon les experts maritimes.
"On n’a pas d’indicateurs faisant espérer une désescalade. Il leur faudra à mon avis de vrais éléments concrets, montrant que les Houthis ne vont pas les frapper, pour qu’ils reviennent. Et pour l'instant, ces éléments ne sont pas là", analyse Jean-Loup Samaan. L’élément déterminant reste la position de l’Iran, fournisseur principal de l’arsenal utilisé par les Houthis. Une demande explicite d’arrêt des attaques pourrait participer à une désescalade.