Tous les regards seront tournés dimanche vers le Brésil : le pays le plus riche d’Amérique du Sud élit son président, sur fond de crise politique et économique. Les 147 millions d’électeurs sont appelés à voter entre Jair Bolsonaro, le candidat d’extrême droite qui se pose en garant de l’ordre, et Fernando Haddad, tête d’affiche du Parti des travailleurs qui promet un retour aux années fastes de la gauche. Les deux hommes se sont livré ces dernières semaines à une âpre campagne électorale, pourtant sans débat, où tout s’est joué sur les réseaux sociaux, et où la violence a gangrené.
De nombreux journalistes, militants de la gauche et des homosexuels ont été en effet agressés physiquement avant le 1er tour. Le candidat populiste, Jair Bolsonaro, a lui-même été la cible de violences, poignardé par un déséquilibré début septembre lors d’un bain de foule. Il a par la suite refusé de mener campagne dans la rue, ainsi que de participer aux six débats télévisés prévus avec son adversaire.
Tout s’est alors joué sur les réseaux sociaux, devenus le théâtre de manipulations. La police a ouvert des enquêtes pour "dissémination de fausses informations" contre les deux finalistes. Des entreprises sont notamment soupçonnées d’avoir financé l’envoi de centaines de millions de messages anti-Haddad sur WhatsApp. La campagne électorale s’achève ainsi dans une ambiance tendue, parfois nauséabonde, et ce sont divisés que les Brésiliens se rendent aux urnes.
Deux candidats diamétralement opposés
Le "Trump brésilien". Le nom qui fait la Une de tous les médias depuis son arrivée en tête du premier tour (46% des voix) le 7 octobre, est celui de Jair Bolsonaro. Le candidat du parti d’extrême droite Parti Social Libéral (PSL) est aujourd’hui donné favori, avec 57% d’intentions de vote dans les derniers sondages. Cet ancien capitaine de l’armée a séduit des millions d’électeurs avec son discours sécuritaire et anti-système, malgré des dérapages racistes et misogynes.
Loin d’être un grand orateur - il s’exprime dans une syntaxe approximative et avec un cheveu sur la langue -, il sait s’adresser directement à l’électeur-internaute, avec de petites phrases qui font mouche. Refusant de débattre avec son concurrent à la télévision, le candidat de 63 ans est très actif sur les réseaux sociaux, où il comptabilise 14 millions d’abonnés. Jair Bolsonaro est ainsi régulièrement comparé à un "Donald Trump brésilien", qu’il avoue admirer. Ses soutiens préfèrent le surnommer "Mythe", alors qu’il a été poignardé par un déséquilibré lors d’un bain de foule le 6 septembre dernier, en pleine campagne électorale.
L’héritier de Lula. Son rival, Fernando Haddad, est le candidat du Parti des travailleurs (PT), dont est issu l’ancien président Lula. S’il est loin d’avoir le charisme de son mentor, Fernando Haddad est aujourd’hui le seul espoir de la gauche d’empêcher l’extrême droite d’arriver au pouvoir, et bénéficie du soutien des classes pauvres. Crédité de 43% d’intentions de vote au second tour, l’ancien maire de Sao Paulo n’a pas réussi à former un front républicain avec les centristes qui lui aurait permis de renverser la tendance.
Méconnu du grand public, ce professeur de sciences politiques de 55 ans tente de s’ériger en défenseur des valeurs démocratiques, et cultive une image consensuelle, d’intellectuel mesuré, s’éloignant au fur et à mesure de sa campagne de l’aura de Lula, incarcéré pour corruption. Haddad a été lui-même inquiété par la justice, début septembre, pour des faits présumés de corruption liés à sa campagne municipale de 2012, qu’il qualifie "sans preuve". Son attitude sereine à toute épreuve lui a valu d’être parfois surnommé "Haddad tranquilao", ou "Haddad relax".
Une campagne dominée par la sécurité et l’emploi
Sécurité. Dans un Brésil miné par la corruption, la crise économique et la violence, la campagne s’est principalement axée autour de la morale, de l’emploi et de la sécurité. Sur ce dernier point, le favori, Jair Bolsonaro, s’est distingué en s’imposant comme le garant d’un retour à l’ordre. "Un bon bandit est un bandit mort", a-t-il ainsi déclaré. Le candidat d’extrême droite propose de libéraliser le port d’arme pour permettre aux "gens biens" de se faire justice eux-mêmes, ainsi que d’amnistier les crimes commis par les policiers. Et peu importe s’il fait l’éloge de la dictature militaire (1964-1985) et légitime l’usage de la torture, il apparaît pour ses électeurs comme l’homme capable de faire preuve d’autoritarisme pour régler les problèmes d’insécurité.
"Ce dont on a besoin ici, c'est que la police fédérale agisse contre le crime organisé. Si on arme la population, cela va se transformer en un État milicien", lui a répondu Fernando Haddad pendant la campagne. Le candidat de la gauche insiste sur une meilleure coordination des services de police pour lutter contre le crime organisé, un renfort de la traçabilité des armes, et suggère de lancer le débat sur la dépénalisation de la drogue.
Économie. Sur le plan économique, Jair Bolsonaro avoue publiquement ne rien y connaître, et a préféré s’entourer d’un gourou de l’économie, Paul Guedes, amené à devenir un "super ministre". Cet ultralibéral propose notamment de privatiser à outrance pour éponger la dette, qui atteint près de 90% du PIB, s’attirant ainsi la confiance des marchés et des lobbys de l’agro-business.
De son côté, Fernando Haddad surfe sur l’héritage des années fastes du PT, alors que Lula (2003-2010) a quitté le pouvoir avec une popularité record en sortant des millions de Brésiliens de la misère grâce à des programmes sociaux ambitieux. Ses électeurs nostalgiques espèrent ainsi que la cure d’austérité imposée par l’actuel président conservateur Michel Temer, impopulaire, prendra bientôt fin. Fernando Haddad a promis ainsi de mettre un frein aux privatisations, ou encore de taxer les très riches.
©VINCENT LEFAI, GUSTAVO IZUS, NICOLAS RAMALLO / AFP
Corruption. Autre thème névralgique de la campagne brésilienne : la corruption qui gangrène le pays. Bolsonaro a promis de "nettoyer le pays" de ses élites corrompues, avec un gouvernement resserré. Et même s’il est député depuis 27 ans, le populiste a su incarner un certain renouveau de la classe politique, car à la différence de son rival, il ne traîne pas de casseroles. L’homme de confession catholique s’est par ailleurs attiré le soutien des fidèles évangéliques, avec son discours en faveur de la famille traditionnelle - qui a donné lieu à des dérapages racistes, misogynes et homophobes.
Fernando Haddad s’est pour sa part posé en défenseurs des minorités et en rempart de l’extrême droite, devenant de fait un choix par défaut pour de nombreux Brésiliens qui ne souhaitent pas voter Bolsonaro. Mais sur le plan de la corruption, s’il prône "plus de transparence" dans la classe politique, il peut difficilement se distinguer, alors qu’il porte comme un fardeau l’héritage des anciens présidents PT Lula et Dilma Rousseff, tous deux empêtrés dans un gigantesque scandale de corruption.
Avec une telle affiche et de tels enjeux, la campagne électorale fait rage au Brésil. L’enjeu ne concerne pas seulement la présidence du pays, les Brésiliens étant également appelés à renouveler l’intégralité de la Chambre des députés, les deux tiers du Sénat, ainsi que les gouverneurs et assemblées législatives des 26 États du pays et de la capitale.