À l'occasion de la dernière semaine qui précède les élections européennes du 26 mai, Europe 1 voyage à travers le continent, à la rencontre des pays qui le peuplent. Notre grand reporter Sébastien Krebs s'est rendu en Croatie pour cette quatrième étape. La campagne des élections européennes y intéresse peu. Cinq ans après l’adhésion, et malgré la relance économique, les Croates s’interrogent sur les bénéfices réels que leur apporte l’UE.
Elle est la "petite dernière" : la Croatie est entrée dans l’Union Européenne le 1er janvier 2013. Mais six ans plus tard, le projet européen est loin, semble-t-il, d’enthousiasmer tout le monde. La Croatie, qui compte 4 millions d'habitants, va envoyer 11 députés européens au Parlement. "Ceux qu’on envoie à Bruxelles, ils en profitent, ils reçoivent tous les bénéfices. Mais nous, on n’en a pas vraiment", déplore un chauffeur de Taxi rencontré à Zagreb. "Si on est en Europe, on devrait aussi avoir des salaires européens ! Nous les petits, on a aucune chance. L’Europe c’est que pour certains."
Ce chauffeur est loin d’être le seul à afficher son scepticisme sur les bénéfices de l’adhésion. Dans les rues de la capitale, les Croates interrogés ont souvent bien du mal à citer des effets positifs. "Il n’y en a pas assez. On n’a toujours pas vu ce que l’Europe peut apporter de mieux. Mais au moins on est en sécurité. Plus de guerre !", relève une passante. "Pour les gens qui travaillent, c’est négatif. Parce que l’Europe, à nous les petits pays, impose ses lois, et on n’est pas forcément conscient de toutes les conséquences", estime un autre.
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Le coup de pouce de l’UE à la relance du pays
Dans les faits, la situation s’est pourtant améliorée, mais les Croates ont dû faire preuve de patience. En fait, le pays a eu le sentiment de rejoindre l’Europe tardivement et au plus mauvais moment, en pleine crise, avec la Grèce qui s’effondrait. Il n’y a eu aucun effet véritablement bénéfique les premières années. Depuis deux ans, ça va mieux : la croissance est repartie et le chômage a baissé. De 17% en 2013, il est à moins de 8% aujourd’hui.
Mais il touche toujours un quart des jeunes. Des jeunes qui ont d’ailleurs plutôt tendance à quitter le pays massivement. "J’aimerais rester mais ce ne serait pas juste de travailler ici pour un salaire minuscule, par rapport à ce que j’aurais ailleurs en Europe", explique Dominic, futur médecin. "Je peux aller où je veux dans l’Union, voilà ce qui est positif pour moi ! Mais je ne suis pas sûr que ça le soit pour la Croatie", abonde Matteo qui suit des études d’ingénieur. En Croatie, le salaire minimum est à 500 euros, ce qui explique facilement cette fuite, effet collatéral de l’adhésion. Pour ces étudiants, le pays a encore trop de retard, même s’ils reconnaissent que l’Europe ne peut qu’aider. D’ailleurs, Dominic et Matteo vivent dans une résidence universitaire rénovée grâce à des fonds européens.
La Croatie est largement bénéficiaire de ces fonds. Elle a obtenu en cinq ans, près de 2 milliards d’euros d’excédent par rapport à ce qu’elle a versé au budget de l’Union. À la mairie de Zagreb, un service a été créé spécialement pour monter les dossiers et obtenir des financements de Bruxelles. "C’est en train de changer le visage de la ville. En ce moment, on a trois ou quatre gros projets d’infrastructures en cours en même temps, qui n’auraient jamais pu être lancés sans l’aide des fonds européens", explique à Europe 1 Mirjana Zubak, qui est en charge de ce service. "Mais les gens ne sont pas assez conscients des bénéfices de l’UE". Il y a par exemple un gigantesque échangeur routier en construction, pour désengorger la ville. Zagreb a reçu, en cinq ans, 270 millions d’euros.
La montée des eurosceptiques, sur fond de nationalisme
Pourtant, le pays n’est pas épargné par la vague eurosceptique. Certains veulent déjà revenir en arrière. Un parti anti-européen a émergé, Zivi Zid ("bouclier humain"). Allié au mouvement 5 étoiles italien, il est à 8% dans les intentions de vote, ce qui le place en position d’entrer au Parlement européen. Surtout, l’exemple du Brexit a fait des émules. "Les gens voient bien qu’ici rien ne s’améliore, ils voient bien que c’est de pire en pire. Nous, on veut organiser un référendum, pour que le peuple puisse décider", explique une militante. Elle se dit persuadée que les Croates voteraient pour sortir, alors même qu’en 2012, ils étaient 66% à choisir l’adhésion.
La campagne des pro-européens reste peu visible. Le parti en tête est déjà au pouvoir, et ces conservateurs, bien qu’europhiles, ne font pas de l’UE l’axe premier de leur campagne. Ils flattent plutôt un nationalisme croate retrouvé, dont la résurgence monopolise tous les débats. Parler d’Europe ne semble pas payant, et provoque surtout beaucoup d’indifférence, ce risque de se voir dans les urnes. En 2014, la participation était à 25%, personne ne s’attend à mieux dimanche.
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