"J'ai décidé aujourd'hui de rouvrir l'enquête." L'annonce d'Eva-Marie Persson, procureure adjointe suédoise, a relancé un feuilleton judiciaire qui dure depuis près d'une décennie, lundi : la Suède reprend officiellement ses investigations visant Julian Assange, accusé de viol depuis 2010. Elle place aussi, de fait, l'Angleterre - où il est aujourd'hui détenu - en position d'arbitre : tout comme Washington, Stockholm réclame désormais l'extradition de l'Australien, inculpé de "piratage informatique" outre-Atlantique. Europe 1 fait le point sur l'ensemble des charges qui visent le cybermilitant.
Des accusations de viol remontant à 2010 en Suède
En Suède, les faits remontent à la nuit du 16 au 17 août 2010. La plaignante, une femme âgée d'une trentaine d'années à l'époque, avait rencontré son agresseur présumé lors d'une conférence de WikiLeaks à Stockholm. Elle l'accuse d'avoir engagé un rapport sexuel pendant qu'elle dormait et sans préservatif, tandis qu'elle lui avait à plusieurs reprises refusé tout rapport non protégé. Julian Assange nie ces faits, soutenant qu'elle était consentante et avait accepté de ne pas utiliser de préservatif.
Face à l'impossibilité d'obtenir sa comparution devant un tribunal tandis qu'il était réfugié à l'ambassade d'Équateur à Londres, le parquet suédois avait décidé de classer l'enquête en 2017. Cette décision "n'était pas fondée sur un manque de preuves, mais sur les circonstances qui entravaient l'enquête", a souligné Eva-Marie Persson, lundi. Mais les données du problème ont changé avec son arrestation spectaculaire en Angleterre, le 11 avril dernier, après que Quito lui avait retiré son droit d'asile.
Concrètement, Julian Assange ne pourra répondre de ces faits que s'il comparaît devant un tribunal suédois avant 2020, année de la prescription du crime présumé. Lundi, son avocat suédois a estimé que Stockholm se "ridiculisait" en relançant des poursuites "vieilles de 10 ans". "Je ne suis pas le moins du monde inquiet pour ce qui concerne la question de la culpabilité", a-t-il ajouté. Un mandat d'arrêt européen doit être émis par le parquet suédois dans les plus brefs délais.
Des poursuites pour "piratage" aux Etats-Unis… ou pire ?
Depuis dix ans, le fondateur de WikiLeaks voit dans le dossier suédois une manœuvre destinée à le faire extrader vers les Etats-Unis dans un tout autre dossier : celui de la fuite de documents américains. Outre-Atlantique, Julian Assange n'est pour l'instant inculpé que d'association de malfaiteurs en vue de commettre un "piratage informatique", pour avoir aidé l'ex-analyste du renseignement Chelsea Manning à accéder à des milliers de documents classés secret-défense, sur les opérations de la coalition internationale en Afghanistan et l'invasion américaine en Irak notamment. Selon un représentant de la justice américaine, il risque pour cela une peine maximale de cinq ans de prison.
Mais les soutiens de Julian Assange craignent que les charges ne soient volontairement floues et minimisées à ce stade, avant d'être alourdies une fois l'Australien extradé. Pour Kristinn Hrafnsson, rédacteur en chef de Wikileaks, il s'agit d'une "question de vie ou de mort" car "il n'y a aucune garantie qu'il n'y aura pas d'accusation supplémentaire". Aux Etats-Unis, le premier amendement de la Constitution américaine donne une définition stricte de la liberté de la presse : d'éventuelles poursuites du militant sur le fond du dossier - la publication d'informations déclassifiées - donneraient lieu à d'âpres débats juridiques. De son côté, le président équatorien, à l'origine du revirement de son pays quant au lanceur d'alerte, affirme avoir demandé et obtenu des autorités britanniques que Julian Assange ne soit pas extradé vers un pays "où il pourrait être torturé ou condamné à mort".
À court terme, 50 semaines de prison en Angleterre
À ce stade, Julian Assange n'a été condamné qu'en Angleterre, à près d'un an - 50 semaines - de prison, pour s'être soustrait à la justice en 2012. Il a d'ores et déjà refusé de se soumettre à une extradition vers les États-Unis, plaidant l'utilité d'un "travail de journalisme qui a récolté de nombreuses récompenses et protégé beaucoup de gens". Pour le parquet suédois, il revient désormais aux autorités britanniques de "fixer l'ordre de priorité" entre les demandes des deux pays. La bataille judiciaire pourrait durer entre 18 mois et deux ans.