Ici, le blanc des bandages et le gris métallique des broches fixées dans les membres tranchent avec l'orange vif des combinaisons portées par les hommes. Les visages sont jaunâtres, les corps amaigris. Nous sommes dans une prison de Kameshli, en Syrie, où quelque 5.000 djihadistes de 33 nationalités différentes sont détenus par les forces kurdes. Depuis début octobre et l'offensive lancée contre elles par la Turquie, ces prisonniers, pour certains très dangereux, représentent un fardeau de plus en plus lourd.
Peu d'eau, pas de médicaments
"J'ai développé une anémie sévère", glisse dans un souffle un djihadiste américain, qui se trouve dans une salle réservée aux blessés. "Certains sont morts ici en n'ayant plus que la peau sur les os." Leur état de santé tient aussi au fait que les détenus ici sont les terroristes les plus convaincus, ceux restés dans le califat de l'État islamique jusqu'à l'ultime réduit de Baghouz. Mais cela préoccupe les Kurdes. Car depuis l'intervention turque, il est difficile d'assurer la logistique, selon le responsable de la prison. "Notre plus gros problème c'est l'accès à l'eau", explique-t-il à Europe 1. "Au début de l'offensive, les Turcs ont bombardé une grosse station d'eau, et nous avons besoin chaque jours de 2.000 litres pour cette prison. Désormais, il faut faire 90 kilomètres pour l'acheminer, c'est très compliqué."
>> Retrouvez la matinale du jour de Matthieu Belliard en replay et en podcast ici
L'autre gros problème, ce sont les médicaments. "Beaucoup ne sont tout simplement pas disponibles", confie le responsable de la prison. L'offensive turque a également compliqué les rotations des Kurdes qui gardent l'établissement. Dès les premières frappes, beaucoup d'entre eux ont été envoyés au combat sur la frontière, et ne sont donc plus disponibles. Une situation dénoncée une nouvelle fois, mardi, par Emmanuel Macron lors du sommet de l'Otan à Londres. "Les Turcs se battent contre ceux qui se sont battus à nos côtés", a répété le président français.
En attendant, à Kameshli, la tension est palpable : la frustration des djihadistes se retourne parfois contre les gardes. Plusieurs d'entre eux ont déjà été attaqués. Pour éviter l'émeute, les Kurdes ne leur ont rien dit de la mort d'Abou Bakr Al-Baghdadi, ancien chef autoproclamé de l'État islamique abattu fin octobre, et encore moins de l'offensive turque.
Les Kurdes comptent encore sur la coalition internationale
De fait, beaucoup de ces hommes sont entrés dans l'État islamique par la Turquie, et dans leur esprit, elle peut être leur porte de sortie. C'est ce que s'imaginait Daniel, djihadiste suisse de 24 ans. Lui qui a survécu à la dernière bataille caché dans une canalisation de béton avait réussi à rejoindre la frontière turque, avant d'être arrêté par des rebelles syriens financés par Ankara qui l'ont relâché moyennant 5.000 dollars. Il s'est imaginé libre, mais c'était sans compter la coalition internationale constituée contre l'Etat islamique (et dirigée par les Etats-Unis), qui ne l'a jamais perdu de vue.
"Un passeur m'a vendu à la coalition alors que j'étais caché dans le coffre d'une voiture transportant des fruits", raconte le jeune homme. "J'ai vu des soldats américains des forces spéciales. Au bout de 4 jours, les Britanniques, les Américains, les Français et les Allemands m'ont interrogé. Mon dossier était déjà prêt, comme si on me suivait depuis longtemps." Ce qui était probablement le cas vu son CV : Daniel était proche de la cellule de l'État islamique qui a planifié les attentats du 13 novembre.
Des profils aussi dangereux que le sien posent également un problème sécuritaire aux forces kurdes. En Syrie, tout peut changer très rapidement. Alors en attendant des décisions politiques, certains détenus sont régulièrement déplacés. C'est le cas de Daniel, qui a connu pas moins de quatre prisons depuis son arrestation en juin dernier. Des établissements qui, tous, sont situés à portée d'intervention des bases de la coalition internationale.