L'Iran a présenté ses excuses samedi pour avoir abattu le Boeing 737 par "erreur", affirmant l’avoir pris pour un "avion hostile".
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Laeticia Drevet , modifié à
L'armée iranienne a reconnu samedi que l'avion qui s'est écrasé mardi en Iran, faisant 176 morts, avait été touché par un missile lancé "par erreur humaine". La catastrophe a eu lieu dans un contexte de vives tensions entre les Etats-Unis et l'Iran. Téhéran affirme que c'est "l'aventurisme américain" qui a "mené au désastre". 
ANALYSE

Spectaculaire volte-face, trois jours après le crash de l'avion d'Ukrainian Airlines en Iran. Téhéran a présenté ses excuses, samedi, pour avoir abattu le Boeing 737 par "erreur", affirmant l’avoir pris pour un "avion hostile". 176 personnes sont mortes mardi dans le crash de l’appareil, essentiellement des Irano-Canadiens, mais aussi des Afghans, des Britanniques, des Suédois et des Ukrainiens. L'Iran a reconnu un tir de missile antiaérien, après une série d'indices concordants et de déclarations qui ne laissaient plus guère de doute. Les dirigeants iraniens blâment en partie "l’aventurisme américain" de ces dernières semaines, qui aurait finalement "mené au désastre". 

La volte-face de samedi matin 

Le changement de pied est spectaculaire car Téhéran avait jusqu'alors catégoriquement nié la thèse selon laquelle l'avion ukrainien aurait été touché par un tir. "Une chose est sûre, cet avion n'a pas été touché par un missile", affirmait encore vendredi le président de l'Organisation de l'aviation civile iranienne (CAO). La thèse d’une frappe était toutefois d’ores et déjà à l’étude. "Nous avons des informations de sources multiples" qui "indiquent que l'avion a été abattu par un missile sol-air iranien", avait déclaré dès jeudi le Premier ministre canadien, Justin Trudeau. Donald Trump avait évoqué le même jour ses "doutes" sur la thèse d'un problème mécanique. 

Une vidéo d'une vingtaine de secondes, qui montrerait le moment où un missile frappe l'appareil, avait par ailleurs été largement diffusée sur les réseaux sociaux. On peut y voir un objet lumineux grimpant rapidement vers le ciel et frappant ce qui semble être un avion. 

La volte face a eu lieu samedi, par le biais d'un communiqué des forces armées iraniennes. L'État-major a reconnu qu'une "erreur humaine" était à l'origine de la catastrophe du Boeing 737. L'appareil aurait été pris pour un "avion hostile" alors que "les menaces ennemies étaient au plus haut niveau", peut-on lire dans ce communiqué publié par l'agence officielle Irna.

En cause, selon l'Iran : "l’aventurisme américain"

La tension est en effet à son comble depuis plusieurs jours entre l’Iran et les Etats-Unis, une semaine après que le général Soleimani, haut dignitaire iranien, a été tué par un raid aérien américain. La catastrophe du Boeing 737 a eu lieu seulement quelques heures après le tir de plusieurs missiles iraniens sur deux bases hébergeant des militaires américains en Irak, en réaction à mort du général. "Toute la défense antiaérienne iranienne devait être sur des charbons ardents" dans l'attente d'une éventuelle riposte américaine, fait valoir un expert français.

" L'aventurisme américain a mené au désastre "

Le ministre iranien des Affaires étrangères a d'ailleurs blâmé "l'aventurisme américain" pour cette catastrophe. "Jour triste", a écrit Mohammad Javad Zarif sur Twitter. Une "erreur humaine en des temps de crise causée par l'aventurisme américain a mené au désastre", a-t-il ajouté, tout en exprimant par la suite ses "profonds regrets, excuses, et condoléances à notre peuple, aux familles des victimes et aux autres nations affectées" par le drame. 

Le responsable sera "traduit en justice"

L'Iran regrette "profondément" ce crash, "une grande tragédie et une erreur impardonnable", a déclaré à son tour le président iranien Hassan Rohani. "L'enquête interne des forces armées a conclu que de manière regrettable des missiles lancés par erreur ont provoqué l'écrasement", a-t-il poursuivi. Les investigations ne sont pas pour autant terminées. Le "responsable" va être traduit "immédiatement" en justice, a affirmé l’état-major iranien.

Peu après dans la matinée, le commandant de la branche aérospatiale des Gardiens de la Révolution iraniens a déclaré endosser la "responsabilité totale" du drame, lors d’une déclaration télévisée. L'opérateur de missile qui a abattu le Boeing ukrainien mercredi à Téhéran a fait feu sans pouvoir obtenir la confirmation d'un ordre de tir à cause d'un "brouillage" télécom, a affirmé samedi un général iranien. Le soldat a pris l'avion pour un "missile de croisière" et il a eu "10 secondes" pour décider, a-t-il déclaré.

L'enquête continue pour l'Iran, l'Ukraine et le Canada

La présidence ukrainienne s'est dite certaine, samedi, que Téhéran allait mener une enquête "prompte et objective" après son aveu. "Nos spécialistes en Iran ont eu accès à toutes les photos et vidéos et aux autres informations nécessaires pour analyser les processus en cours à Téhéran", peut-on lire dans un communiqué de la présidence. Une cinquantaine d'experts ukrainiens étaient arrivés à Téhéran jeudi pour participer à l'enquête, et notamment au décryptage des boîtes noires de l'appareil. Les présidents ukrainien et iranien doivent s’entretenir au téléphone dans l’après-midi samedi.

Le Premier ministre canadien a lui aussi réagi rapidement à l’annonce, annonçant vouloir "faire la lumière dans ce dossier" et réclamant un "esprit de transparence et de justice". "Il s'agit d'une tragédie nationale et tous les Canadiens sont en deuil. Nous continuerons de travailler avec nos partenaires à travers le monde pour veiller à ce qu'une enquête complète et approfondie soit menée", a assuré Justin Trudeau, ajoutant : "Le gouvernement du Canada s'attend à la pleine collaboration des autorités iraniennes." 

Le président Iranien et son homologue canadien se sont entretenus au téléphone samedi. "Ce matin j'ai parlé au président iranien Rohani et je lui ai dit que les aveux de l'Iran étaient un pas important en vue d'apporter des réponses aux familles, mais j'ai souligné que d'autres mesures doivent être prises", a annoncé Justin Trudeau. "Ce que l'Iran a reconnu est très grave, abattre un avion de ligne commercial est horrible, l'Iran doit en assumer l'entière responsabilité", a ajouté le Premier ministre. Il s'est dit "scandalisé et furieux" et a estimé que "cela n'aurait jamais dû arriver, même dans une période de tension accrue."

Une équipe d'enquêteurs canadiens est attendue à Téhéran d'ici quelques heures pour "établir une présence sur le terrain pour soutenir les familles canadiennes", a annoncé Justin Trudeau.