Le ton continue de monter entre la France et la Turquie. Critiquant les propos d’Emmanuel Macron sur les caricatures, le président turc Recep Tayyip Erdogan a publiquement mis en cause la "santé mentale" du président français. La France a depuis rappelé son ambassadeur à Paris. "Erdogan porte au niveau international son discours qui est devenu quotidien au niveau de la politique intérieur", analyse au micro d’Europe 1 le journaliste et politologue turc Ahmet Insel. "Il injurie tout le monde. Les opposants critiques sont déférés devant les tribunaux, il ne supporte pas la critique", résume Ahmet Insel, qui ajoute toutefois : "Il a une verve fascisante".
"Chef politique et chef religieux"
Selon le spécialiste, Erdogan "joue à créer une ferveur islamo-nationaliste" dans l’objectif de se maintenir au pouvoir. Le président cherche à rehausser son image en Turquie, en satisfaisant les composantes de son alliance, les nationalistes d'extrême-droite et les nationalistes laïques. Et à l’échelle internationale, son objectif est de se présenter comme le défenseur des Musulmans, ce qui pousse à le considérer non pas seulement comme un nationaliste turc mais aussi comme un nationaliste-religieux : "Il bâtit une image de Turquie forte, une puissance régionale qui va régner sur les anciennes terres ottomanes."
La dimension religieuse est en effet très présente dans la politique du leader d'Erdogan. Ahmet Insel rappelle notamment son geste hautement symbolique de transformation du musée Sainte-Sophie en mosquée. "Il a lu, en tant que président de la république, une sourate de conquête du Coran. Il se positionne à la fois comme chef politique et chef religieux."
Un leader pourtant en difficulté
Ahmet Insel décrit pourtant un leader turc en difficulté. Sur la scène nationale, il serait incapable de réunir seul une majorité pour les élections présidentielles de 2023 et doit donc compter sur le soutien des groupes politiques nationalistes. Le pays se retrouve par ailleurs de plus en plus isolée sur la scène internationale, se mettant à dos ses alliés de l’Otan, parmi lesquels la France, et multipliant les frictions avec la Russie. Les Turcs ont aussi des difficultés à se présenter comme les champions de l’Islam, dans un Moyen-Orient à majorité arabe.
Dans ce contexte, sa prise de position d'Erdogan en faveur d'un boycott des produits français pourrait difficilement aboutir à une déstabilisation durable de la France sur la scène internationale. Certaines initiatives individuelles ont été suivies au Qatar, en Jordanie ou au Koweït mais "pour le moment ce n’est pas un mouvement organisé nationalement dans chacun des pays", affirme Ahmet Insel.