L’histoire se répète pour les Espagnols. Ce dimanche, pour la troisième fois en près de quatre ans, les citoyens sont appelés aux urnes pour tenter de mettre fin au blocage politique, lors d’élections législatives anticipées cruciales pour l’avenir d’un pays fracturé par la question catalane, et se remettant encore des effets de la crise économique.
Pourquoi ces nouvelles élections ?
En Espagne, l’instabilité politique dure depuis plus de trois ans, et les élections législatives de décembre 2015. L’entrée au parlement de deux nouvelles forces, Podemos (gauche radicale), et Ciudadanos (centre-droit), avait alors fait voler en éclat le traditionnel bipartisme entre le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste (PSOE).
Arrivé au pouvoir en juin 2018 après le dépôt d’une motion de censure contre Mariano Rajoy, empêtré dans des affaires de corruption, le socialiste Pedro Sanchez avait été investi avec le soutien de Podemos, des nationalistes basques, ainsi que des indépendantistes catalans. Il prenait toutefois la tête d’un gouvernement ultra-minoritaire.
En Espagne, les effets de la crise économique se font encore sentir. Parmi tous les sujets abordés pendant la campagne, celui du chômage reste la principale préoccupation des Espagnols. Avec un taux de chômage de 14,7% au premier trimestre, l’Espagne reste le pays européen le plus touché après la Grèce. Et si le pays a connu une reprise importante avec trois ans de croissance supérieure à 3% de 2015 à 2017, après plusieurs années d’austérité, la croissance a commencé à ralentir, avec 2,6% en 2018 et 2,2% attendus en 2019.
La fragilité de son gouvernement a provoqué en février la fin de la législature. Mécontents du refus de Pedro Sanchez d’organiser un référendum d’autodétermination pour la Catalogne, les indépendantistes ont lâché le Premier ministre en refusant son budget anti-austérité, poussant ce dernier à annoncer des législatives anticipées.
Les socialistes en tête dans les sondages, mais sans majorité
Pour Pedro Sanchez, l’enjeu de ces élections est de taille. En juin 2018, le socialiste avait été porté au pouvoir sans être élu, au moyen d’une motion de censure. Ce scrutin est donc une occasion pour lui d’acquérir une nouvelle légitimité, alors qu’il avait mené son parti au pire résultat de son histoire récente aux élections de 2016, avec seulement 84 sièges.
Depuis plusieurs semaines, les sondages sont rassurants pour le PSOE. Selon un sondage publié par El Pais le 21 avril, le parti récolterait 30,3% des voix, et arriverait en tête de l’élection. Toutefois, ce résultat ne permettrait pas au Parti socialiste d’obtenir la majorité absolue, l’obligeant à former une coalition. Mais là aussi, la tâche pourrait s’avérer compliquée. Alors que le leader de Podemos, Pablo Iglesias est favorable à une alliance avec les socialistes, son parti est actuellement en chute libre dans les sondages, et pourrait perdre la moitié de ses sièges. Selon l’étude d’El Pais, une telle coalition n’obtiendrait que 162 sièges, loin des 176 nécessaires pour la majorité absolue.
Pedro Sanchez pourrait alors négocier avec les libéraux de Ciudadanos, crédités de 14% des suffrages, avec lesquels il avait déjà passé un accord en 2016. Mais les relations entre les deux mouvements se sont nettement refroidies depuis. Le parti centriste a largement droitisé son discours, et son leader Albert Rivera a exclu toute alliance avec les socialistes.
Le Premier ministre a toutefois refusé d’écarter l’hypothèse d’un accord entre les deux partis. "Mon engagement est de parler avec tous les partis politiques, au sein de la démocratie", a-t-il déclaré à la télévision, indiquant que ce sont les libéraux de Ciudadanos qui avaient érigé "un cordon sanitaire" contre les socialistes.
La menace de l’extrême-droite
L’extrême droite va-t-elle faire son entrée au Parlement ? Dans les sondages, Vox est annoncé avec 12% des voix, soit près de 30 députés sur 350. Alors que l’Espagne, encore profondément marquée par la dictature franquiste, était jusqu’à présent un des derniers pays européens à ne pas devoir composer avec un mouvement d’extrême droite puissant et structuré, ses habitants ont assisté avec surprise à l’éclosion éclair de la formation créée en 2013. Lors des régionales en Andalousie, le jeune mouvement a recueilli près de 11% des voix.
Opposé au mariage homosexuel, à l'euthanasie ou à l'avortement, et comptant dans ses rangs des généraux à la retraite défenseurs du franquisme, Vox a surtout prospéré sur sa virulence à l’égard du mouvement indépendantiste catalan, et prône notamment l'interdiction des partis séparatistes.
Le succès croissant du mouvement n’est pas sans aiguiser les appétits. Le PP et Ciudadanos se verraient bien composer avec Vox au sein d’une coalition, notamment le parti conservateur, dont sont issus de nombreux militants de Vox. De son côté, lors des élections de décembre en Andalousie, Ciudadanos n’avait pas hésité à s’allier avec le PP et le mouvement d’extrême-droite pour chasser les socialistes du pouvoir.
Toutefois, les études d’opinion ne sont pas plus optimistes quant aux chances de succès d’une telle coalition. Selon le sondage publié par El Pais, avec 162 sièges, une alliance entre ses trois partis n’obtiendrait pas la majorité absolue.
La Catalogne continue de déchirer le pays
Plus de deux ans après la tentative de sécession de la Catalogne, et la déclaration d’indépendance d’octobre 2017, la question catalane continue d’empoisonner la vie politique espagnole.
"La plus grande différence entre la gauche et la droite aujourd'hui en Espagne est le degré d'excitation sur la question nationale. La droite est très remontée alors que la gauche mise sur l'apaisement", précise Joan Botella, politologue à l'Université autonome de Barcelone dans un entretien à l’AFP.
Alors que le procès des ex-dirigeants indépendantistes s’est ouvert en février, c’est le refus de Pedro Sanchez de soutenir un référendum d’autodétermination qui a poussé les séparatistes à lâcher le Premier ministre sur son projet de budget. Pourtant, ces députés pourraient à nouveau s’avérer indispensables dans la constitution d'une coalition.
Les indépendantistes sont également au cœur de la campagne des partis de droite et d’extrême-droite. Le PP et Vox ne cessent d’accuser Pedro Sachez de "trahison" pour avoir tenté de dialoguer avec les "putschistes" catalans.