La Turquie a confirmé lundi la mort du prédicateur musulman Fethullah Gülen, ennemi juré du président turc Recep Tayyip Erdogan, annoncée plus tôt par ses proches aux Etats-Unis où il résidait depuis un quart de siècle. "Le chef de cette sombre organisation est mort, mais la détermination de notre nation dans la lutte contre le terrorisme se poursuivra", a annoncé le ministre turc des Affaires étrangères Hakan Fidan. Illustrant la vindicte persistante d'Ankara à son égard, le ministre a "invité" les partisans de l'imam "à abandonner la voie de la trahison et de l'erreur qu'ils ont empruntée et à cesser "d'œuvrer contre leur État et leur nation".
La mort du prédicateur avait été initialement annoncée par un média proche du mouvement güleniste et par l'un de ses neveux sur X. L'information avait été aussi largement relayée et reprise par les médias officiels turcs.
Accusé de diriger un groupe "terroriste"
Inspirateur du mouvement Gülen, aussi appelé "Hizmet" ("Service", en turc), qui avait développé un tentaculaire réseau d'écoles à travers le monde, Fethullah Gülen s'était installé de son plein gré en Pennsylvanie, aux Etats-Unis, depuis 1999. D'abord allié de Recep Tayyip Erdogan, le prédicateur était depuis plus d'une décennie accusé par le pouvoir turc de diriger un groupe "terroriste". Fethullah Gülen affirmait qu'il ne s'agissait que d'un simple réseau d'organisations caritatives et d'entreprises.
Selon Bayram Balci, chercheur au Ceri-Sciences Po à Paris, joint par l'AFP, sa disparition "restera un non événement en Turquie" où la mouvance güleniste est très affaiblie. "Depuis la rupture avec Erdogan en 2010 et surtout après la tentative de coup d'Etat en 2016, l'image de Gülen est très mauvaise. Très peu de gens lui ont gardé leur estime", assure-t-il.
"Traître"
En exil, l'ex-allié d'Erdogan aura échappé près de quinze années durant aux griffes d'Ankara : le pouvoir l'accusait de terrorisme depuis qu'un scandale de corruption, orchestré par des magistrats acquis à la nébuleuse güleniste, avait éclaboussé fin 2013 des proches de l'alors Premier ministre Erdogan. Le prédicateur avait émis le souhait en 2012 d'être inhumé à Izmir (ouest), "près de sa mère bien-aimée" : "Aucune chance", estime Bayram Balci pour qui l'imam devrait être enterré "en Pennsylvanie".
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Selon la chaîne de télévision privée NTV, qui cite des sources sécuritaires turques, l'organisation güleniste a décidé que "le lieu de sa tombe sera gardé secret" et que les funérailles se tiendront avec une assistance limitée, possiblement dans une forêt appartenant à un haut responsable du mouvement aux Etats-Unis. La Turquie, qui le considère comme un "traître" - et qualifie le mouvement de "Fetö" (acronyme pour Organisation terroriste de Fethullah Gülen), l'avait déchu de sa nationalité en 2017.
"La communauté n'est plus aussi forte"
Après le coup d'Etat raté du 15 juillet 2016, les autorités turques ont lancé de vastes purges dans les rangs gülenistes qui se poursuivent à moindre échelle. En outre, il a exigé de ses alliés l'extradition de tout membre du réseau ou proche de l'imam. "La lutte contre cette organisation, qui continue de constituer un problème fondamental de sécurité nationale (...) se poursuivra", a promis lundi le ministre turc de la Justice, Yilmaz Tunç. Des poursuites ont été engagées contre près de 700.000 personnes, et 3.000 d'entre elles, accusées d'avoir joué un rôle dans le putsch manqué, ont été condamnées à la prison à vie, selon les autorités turques.
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Des purges de grande ampleur ont été également conduites dans les rangs de l'administration et de l'armée : plus de 125.000 personnes ont été limogées des institutions publiques, dont quelque 24.000 soldats et des milliers de magistrats. Selon Bayram Balci, son réseau d'écoles, notamment en Afrique, a pâti des bonnes relations du président Erdogan avec de nombreux pays où la Turquie a multiplié les investissements. "La communauté n'est plus aussi forte", affirme le chercheur. "Elle s'est surtout concentrée sur l'aide aux victimes de la répression" orchestrée par Ankara, ajoute-t-il.